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de l’avoir paternel qui était légué à ma pauvre sœur, et qui, le testament interprété dans son véritable sens, devait, à la mort de ma mère, se partager entre Godfrey et moi. Ce projet, reconnu impraticable par les hommes de loi auxquels on s’était adressé, n’avait eu aucune suite; mais il avait été conçu, il avait même reçu un commencement d’exécution : c’était pour en décider la réussite qu’on m’avait pendant un an reléguée dans le pensionnat de Boulogne, afin de rendre impossible toute rencontre, même fortuite, entre moi et mon frère. On devine quels sentimens me laissa la découverte de cette odieuse intrigue, dont l’avortement n’absolvait nullement les auteurs, vivre en communauté avec eux me devenait de plus en plus pénible, et si, dès notre retour à Londres, je n’y avais trouvé une compensation assez douce dans les fréquentes visites de Hugh Wyndham, il est probable que j’aurais fait dès lors d’activés démarches pour me soustraire à cette existence qui m’imposait une dissimulation continuelle, antipathique à mon caractère et à mes instincts.

Mistress Wroughton (ainsi s’appelait maintenant miss Sherer), surprise de me trouver souvent, lorsqu’elle venait me voir le matin, en conférence intime avec le frère de M. Owen Wyndham, crut devoir appeler mon attention sur les conséquences probables de cette familiarité. Selon elle, je finirais par abdiquer cette aversion farouche que m’avaient inspirée si longtemps les membres de la famille où ma mère était entrée; je m’accoutumerais à l’idée de porter leur nom détesté. — S’il n’en était pas ainsi, ajoutait-elle, vous auriez tort de laisser supposer aux autres que cela pourra jamais arriver. Prenez garde à l’opinion, qu’on ne met pas impunément sur une fausse voie en ces matières si délicates. — Moins bien garantie contre les pressentimens et les craintes de cette excellente amie, j’aurais tremblé devant la première de ces hypothèses, et j’aurais tenu compte des recommandations que lui suggérait la seconde; mais elle n’était point au courant du véritable état des choses, car je n’avais pas obtenu de Hugh l’autorisation de la mettre en tiers dans les confidences qu’il m’avait faites, et comme elle raisonnait sur des données essentiellement incomplètes, il me semblait que ses conclusions n’avaient aucune valeur. Aussi persistais-je à recevoir les visites de Hugh, mes plus chères distractions après tout. Je profitai donc, avec un entraînement irréfléchi, de la tolérance de ma mère, qui ne me fit jamais la moindre observation à cet égard, et qui probablement voyait, comme son mari, avec une sorte de satisfaction, le tour que semblaient prendre les choses. Elle ne me parlait jamais de Hugh sans me vanter sa grâce, sa gaieté, sa franchise, et comme généralement elle était assez sobre de tels panégyriques, je fus plus