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c’est un de ceux que monsieur gardait, toujours chargés, sur un des rayons de son cabinet de travail... Pourquoi faut-il que personne ne l’ait vu au moment où il sortait?... Il devait nécessairement l’avoir dans les mains.

Tous ces détails ne m’éclairaient qu’à demi. Je ne comprenais pas bien, et je demandai : — Qui a tué papa?

— Personne, répondit Wilkins.

Décidément je ne savais plus que penser. Ma mère, qui jusque-là n’avait pas paru s’apercevoir de ma présence, me dit alors, à travers ses larmes, que mon père n’était plus dans son bon sens, qu’il n’avait pas su ce qu’il faisait, et qu’il s’était tué lui-même en se tirant un coup de pistolet. Elle ajouta (s’adressant alors à Wilkins) que depuis quelques jours elle avait remarqué un dérangement notable dans les facultés de son mari, que son humeur avait changé du tout au tout, et que le matin même elle avait pu constater les illusions chimériques auxquelles il était en proie.

Wilkins, pensant qu’elle désirait rester seule, voulut m’emmener; mais ma mère, avec une sorte de tressaillement douloureux, demanda qu’on me laissât auprès d’elle, ajoutant qu’on m’apporterait mon dîner. A grand’peine put-on me faire avaler quelques bouchées. Les regards que ma mère tenait arrêtés sur moi m’oppressaient le cœur et me glaçaient le sang. Il y eut un moment où le désordre de ses gestes, son agitation insensée, les frissons convulsifs qui passaient sur toute sa personne, mirent le comble à ma terreur. Je me glissai sous une table et me mis à pleurer. Alors elle m’appela de sa plus douce voix, — une voix dont elle n’usait guère en me parlant, — m’attira auprès d’elle, me dit que nous étions toutes deux bien à plaindre, qu’il fallait pourtant essayer de nous calmer, de nous consoler... En parlant ainsi, elle arrangeait les coussins du divan de manière à me faire une sorte de lit. Souvent je l’avais vue préparer ainsi le sommeil d’Emmeline. Je m’étendis donc sur ces coussins, et, lasse de pleurer, je m’endormis.

En m’éveillant, — bien tard dans l’après midi, — mon premier regard tomba sur ma mère. Elle me tournait le dos, et regardait dans la cheminée quelques papiers qui achevaient de se consumer. Le secrétaire d’écaille était ouvert, et l’écritoire dont j’ai parlé, — la même que j’avais vue, le matin même, dans la main de mon père, — était sur la table. Un des phénomènes de cette journée, c’est que mon esprit ne rattacha nullement ce fait des papiers bridés au souvenir de ces lettres dont il avait été question à plusieurs reprises dans la conversation que j’avais écoutée. Il s’était écoulé bien des années depuis ce jour fatal, lorsque, mieux éclairée, j’ai pu saisir l’étroite corrélation de ces circonstances écrasantes.

En revanche, le spectacle que j’avais sous les yeux me donna