Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apprenant qu’après tout Godfrey n’avait pas menti; mais cette découverte semblait au contraire leur faire peur, et cette peur, qui se peignait sur leurs traits, je la partageai moi-même quand toutes deux me recommandèrent à l’envi, dans leur langage le plus solennel, de ne jamais parler de tout ceci ni à maman ni à papa, et de ne jamais prononcer le nom de Godfrey ni de M. Wyndham. Il me semblait, à moi, indispensable de justifier mon frère, et j’insistais à ma manière pour rester libre de plaider sa cause; mais dans une allocution où elle réunit toutes les ressources de son éloquence, mistress Gill m’assura que Dieu ne m’aimerait plus, — qu’il me punirait même très sévèrement, — si je désobéissais aux personnes chargées de moi, et si je parlais de choses que je ne pouvais comprendre. Elle fit aussi une saisissante allusion à l’histoire du poirier, à la méfiance que ce premier mensonge avait laissée contre moi dans l’esprit de mon père. Ce dernier trait m’alla au cœur et dompta mes convictions rebelles, en me rappelant que la vérité avait ses dangers et pouvait couvrir de honte ceux qui la disent mal à propos. Je me laissai arracher la promesse qu’on me demandait, et, une fois faite, je devais y rester fidèle. Que de réflexions pourtant sur ces étranges et nouvelles idées, sur ces données contradictoires, sur cette complication incompréhensible du devoir de parler sans réticence qu’on m’avait enseigné jusque-là et du silence hypocrite qu’on exigeait maintenant de moi !

Mes parens revinrent cependant, et quelques jours après, un matin, je m’entendis appeler par mistress Gill dans le cabinet de mon père. Jamais je ne l’avais vu recevoir, dans cette pièce réservée à sa solitude, aucune des femmes attachées au service de la famille. Tous deux semblaient fort préoccupés, fort animés; mais je n’eus guère occasion de m’expliquer à quel sujet, car aux premières paroles de la femme de charge mon père l’interrompit brusquement :

— Tenez, disait-il, j’aime mieux en rester là... Cette enfant doit rester étrangère à tout ceci... Alswitha, descendez au jardin !...

Je sortis à l’instant même, et c’est tout au plus si j’entendis les premiers mots que mistress Gill prononça, la porte une fois refermée : — Comme vous voudrez, monsieur, mais je ne vous aurais parlé de rien si moi-même... Le reste de la phrase se perdit dans l’éloignement. L’idée me vint, à cette occasion, qu’il pouvait être question de Godfrey et de son prétendu mensonge; mais je ne m’y arrêtai guère, persuadée que mistress Gill n’avait pu aborder elle-même un sujet qu’elle m’avait interdit avec tant de pathétiques recommandations. Quelques semaines s’écoulèrent encore entre cette mystérieuse conférence et une journée fatale, dont quelques-uns des événemens me sont aussi présens, à l’heure où j’écris, que s’ils da-