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Drake était notre jardinier en chef. Ma petite cervelle s’épuisait à conjecturer ce que son nom venait faire là, et ce qu’il y avait de si « insolent» dans la phrase prononcée par Godfrey. Je m’endormis avant d’avoir résolu ce double problème. Le lendemain, Godfrey ne parut pas au déjeuner; il était allé faire visite à l’un de nos parens dans le voisinage. Du moins c’est ainsi qu’on m’expliquait son absence. — Quand il reviendra, me dit Wilkins à cette occasion, vous ne devez plus, mais jamais, jamais, vous trouver dehors avec lui. Ce sont les ordres exprès de votre mère.

Au retour de Godfrey, cette consigne fut rigoureusement observée, et le pauvre garçon s’alla promener seul au jardin; mais à l’automne, quand il sortit moins de la maison, je me retrouvai quelquefois seule avec lui dans son petit atelier de travail, où il s’amusait, tout en menuisant ou en faisant ronfler son tour, à me raconter toute sorte d’histoires merveilleuses qui avaient trait à sa vie de matelot, et où les mouches à feu, les oiseaux de paradis, le nautile, les poissons volans, les orang-outangs et les sauvages remplaçaient le personnel ordinaire des contes de fées. C’est là que nous étions un jour, et tandis que, grimpé sur une chaise, il cherchait dans ses livres de voyage une gravure qu’il voulait me montrer, j’étais accoudée à la fenêtre, qui donnait sur une petite cour intérieure. J’y guettais vaguement les menus incidens qui viennent de temps à autre animer ces petits recoins déserts, le passage d’un chat ou d’un domestique (à cette heure cependant, j’aurais dû me dire que les domestiques étaient à table), lorsque, à ma grande surprise, je vis, de la brasserie qui ouvrait aussi sur cette petite cour, sortir un personnage de ma connaissance, habitué assez familier du salon maternel.

— Tiens, m’écriai-je, M. Wyndham!

Ces simples mots produisirent un effet sur lequel je ne comptais guère. Godfrey jeta loin de lui l’in-quarto qu’il tenait, de sa chaise à la fenêtre ne fit pour ainsi dire qu’un saut, et, voyant que je ne m’étais point trompée : — C’est ma foi lui! s’écria-t-il à son tour... Pour le coup, je saurai bien où il va.

En courant vers la porte, il me renversa presque. Cette porte était fermée à clé, et la clé, qui tournait mal dans la serrure rouillée, lui opposa quelque résistance; il ouvrit enfin, et comme je m’obstinais à le suivre sur l’escalier malgré ses impérieuses recommandations de « rester où j’étais, » il me poussa plus brusquement qu’il ne l’avait jamais fait dans un des corridors, où je demeurai fort étonnée, fort inquiète, et ne m’expliquant ni ses paroles ni sa brusque sortie. Une bonne heure s’était écoulée quand Wilkins m’y découvrit, et je reçus encore une bonne leçon sur «la mauvaise habitude que j’avais