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leur posa, ne comprenant pas qu’il devenait nécessaire de les modifier avec la marche du siècle, puisqu’elles étaient elles-mêmes une transformation progressive de la pensée des siècles précédons. En un mot, et l’explication de ce système d’immobilité est peut-être ici tout entière, Joseph de Maistre eut peur, et sa peur fut doublée par son ignorance des lois de l’esprit humain. Le spectre de la révolution politique et philosophique se dressa, exécré et maudit, devant tous ses pas, devant tous ses regards. Il n’admit avec elle aucun sacrifice nécessaire, aucun sincère compromis. Obligé d’en reconnaître l’existence, il semble vraiment qu’il n’ait jamais compris que cette existence pût avoir une raison. Il réserva impitoyablement à ses principes religieux et monarchiques toute faveur, toute vérité, tout droit. Il professa, avec plus de rigueur peut-être, mais avec moins de logique, de grandeur et d’esprit que les jésuites, leur célèbre devise : Siut ut sunt aut non sint. Enfin, s’il fut un écrivain remarquable par la puissance violente de quelques-unes de ses périodes, il n’offre pas cette élévation constante de style qu’atteignent seuls, parmi les philosophes, ceux qui savent sacrifier aux impartiales recherches de la vérité leurs espérances les plus douces et leurs préjugés les plus chers.


EUGENE LATAYE.



REVUE DES THEATRES.
Rédemption, drame en cinq actes, par M. Octave Feuillet.


S’il est permis à la critique de prévoir les choses en préparation au même titre qu’il lui est permis d’apprécier les choses présentes, si prévoir est, aussi bien que juger, une de ses attributions, nous dirons qu’il nous semble démêler dans la situation actuelle de notre théâtre les premiers symptômes d’une crise qui peut-être ne tardera pas à éclater. Notre littérature dramatique contemporaine approche rapidement du terme de l’une de ses étapes, et déjà on peut apercevoir à l’horizon l’hôtellerie du point de relais et le carrefour où les routes vont bifurquer. A la distance où nous sommes, il est difficile de déterminer le temps que nous mettrons encore pour atteindre cette halte, car l’horizon est trompeur, et le témoignage des yeux incertain. Peut-être une seule saison d’hiver suffira-t-elle pour nous faire franchir cette distance, peut-être faudra-t-il un temps beaucoup plus long; en tout cas, une chose est certaine, c’est que nous entrevoyons le point d’arrivée et l’hôtellerie de la halte. Si cette hôtellerie est bonne ou mauvaise, et si nous aurons à regretter de nous y être arrêtés, c’est ce que nous ne savons pas, et ce qui importe peu pour le moment; ce qui nous importe, c’est l’assurance que notre voyage va s’interrompre pour changer de direction. La longue étape dramatique que notre littérature est en train de parcourir depuis dix ans peut être considérée aujourd’hui comme à peu près achevée.

En nous servant des termes d’étape, de voyage, de relais, nous n’obéissons nullement à un caprice d’imagination ou à une démangeaison métaphorique: