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Hongrie, malgré sa généreuse vitalité, est elle-même une sorte d’Autriche où les Slaves, les Allemands, les Roumains, pressent et débordent les Magyars ; ils oublient les luttes de races où s’est épuisée la révolution de 1848, ils oublient surtout que des combinaisons de cette importance ne s’improvisent point, et qu’en un temps comme le nôtre il n’est point permis de sacrifier au mirage d’une utopie un vaste ensemble d’intérêts tel que celui que l’Autriche représente.

Quand on lit attentivement le diplôme par lequel l’empereur François-Joseph a restauré les anciennes institutions représentatives de ses états, on ne peut mettre en doute la sincérité de cette libérale tentative. Les difficultés qu’il y avait à résoudre dans une telle œuvre étaient immenses. Il fallait donner satisfaction à l’esprit de tradition, qui est l’âme de la nationalité hongroise, sans sacrifier des progrès civils récemment accomplis et les exigences de l’esprit moderne. Il fallait rendre aux populations amoureuses de leurs institutions locales leurs autonomies diverses sans rompre le lien de l’unité politique de l’empire. Il fallait faire revivre la Hongrie au risque de blesser les germaniseurs, que l’Autriche doit pourtant ménager, puisque ses liens avec l’Allemagne forment un des principaux ressorts de sa force. Il semble que l’on ait réussi autant qu’il était possible en posant les principes de cette transaction compliquée. Du moins deux hommes éminens, M. de Rechberg du côté allemand et M. de Szechen du côté hongrois, ont travaillé à la constitution avec une droiture, un bon vouloir et une intelligence incontestables.

Ce qu’on peut dire de mieux, c’est qu’il y a en Autriche un patriotisme que le malheur avait douloureusement blessé, qui n’attendait plus que désastres avec une stoïque mélancolie, qui ne voulait plus espérer, et auquel les réformes ont rendu un rayon de confiance et de fierté. Nous avons lu des lettres de Vienne émanées d’hommes éclairés et éprouvés où ce sentiment est rendu par des expressions touchantes. « Par exemple, dit l’un, ce que j’ai vu lorsque l’empereur s’est rendu au chemin de fer, je ne pensais plus le voir jamais. On s’est vraiment porté au-devant de lui d’un commun accord, et c’était toute la ville. Je ne puis pas vous dire le vigoureux et profond enthousiasme, la reconnaissance émue, la vérité du mouvement (car nous ne nous entendons pas ici à préparer des démonstrations). Franchement l’impression que cela faisait à tout le monde était que le peuple se dédommageait d’avoir boudé le souverain depuis si longtemps. » — « On voit partout, dit une autre correspondance, un fonds de vrai patriotisme… Tout le monde se dit : « On a fait tout ce qu’on a pu et le mieux qu’on a pu, » et il y a un désir général de coopérer à cette grande œuvre. Ou je me trompe fort, ou c’est le commencement d’une belle ère pour nous… Dans les cafés, où l’on médisait de tout sans pitié, on dit : « Eh bien ! l’Autriche va encore briller ! » L’exemple du bon vouloir a été donné de haut. L’archiduc Albert a refusé le commandement supérieur de l’armée d’Italie et accepté un commandement sous le général Benedek. On dit partout : « Grand citoyen