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menacée d’une attaque du côté de l’Italie, exposée à une guerre qui peut être prochaine, l’Autriche doit se conduire de telle sorte que, si cette guerre éclate, elle n’ait que l’Italie seule à combattre. Il est évident que l’Autriche ne peut atteindre ce résultat qu’à la condition qu’il s’établisse en Europe une sorte d’opinion générale, un certain concert moral qui détourne tout autre gouvernement de la pensée d’intervenir dans la lutte prévue. Pour qu’une telle opinion, pour qu’un tel concert se forment et circonscrivent la guerre entre l’Autriche et l’Italie, une autre condition est indispensable : c’est qu’il soit clair pour tout le monde que l’Autriche n’aura pas recherché la lutte, ne l’aura point commencée elle-même à sa convenance et à son heure sans tenir compte des intérêts des autres états européens, et la subira comme une nécessité imposée par l’agression de son ennemi. Les réformes du 20 octobre et l’entrevue de Varsovie ne pouvaient, ce nous semble, être expliquées que par ces nécessités et ces résolutions nouvelles de la politique autrichienne. Ce sont, par leurs effets indirects sur la question italienne, des actes purement défensifs. Envisagés en eux-mêmes et dans les données de la politique autrichienne, ces actes ne nous semblent susceptibles que d’une interprétation pacifique.

Parmi les dernières manifestations de la politique autrichienne, la plus importante est sans contredit la réforme des institutions intérieures, et nous avouerons que nous accueillons et que nous suivrons avec un vif intérêt cette grande expérience. Il est du devoir des libéraux sincères en Europe d’encourager cet effort du gouvernement autrichien. Toute capitulation du despotisme, sur quelque point de l’Europe qu’elle se produise, est une victoire pour nous ; ce n’est pas à nous de déprécier nos victoires. Nous avons vu comment se sont accomplis en Europe cette funeste et excessive réaction de 1848 et ce recul du mouvement révolutionnaire qui est allé jusqu’au despotisme. Partout les progrès de la réaction furent solidaires : espérons que la même solidarité se montrera dans le retour libéral, et partout où nous verrons se retirer le flot de la réaction absolutiste, saluons le présage de la fin générale de cette lugubre marée. Sans doute les excès réactionnaires ont laissé en Autriche de douloureuses blessures, et nous ne sommes pas surpris que quelques esprits passionnés n’acceptent point la réconciliation qui leur est offerte. Les ressentimens de ceux-là ne pourraient être satisfaits qu’au prix de la destruction de l’empire autrichien. Les esprits politiques repoussent ces exagérations. L’existence d’un empire autrichien n’est point un phénomène arbitraire dans la politique européenne. Si un tel empire n’existait pas, il faudrait l’inventer pour relier ces populations danubiennes si diverses par la langue, la religion, la race, et qui, si elles étaient abandonnées à elles-mêmes, se dissoudraient dans l’éparpillement et l’anarchie, pour devenir la proie du puissant empire slave dont la masse compacte et disciplinée occupe l’Europe orientale. À la vieille fédération monarchique qui s’appelle l’Autriche, des rêveurs voudraient substituer une fédération nouvelle dont la Hongrie serait le centre. Ils oublient que la