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giques, où Rome recrutait alors ses défenseurs, aux Romains des premiers âges que de Cincinnatus ou du vieux Caton à leur postérité dégénérée. Stilicon, s’attachant à la fortune naissante de Théodose, grandit avec elle; il le suivit dans toutes ses guerres. « Théodose n’a jamais combattu sans toi, lui disait Claudien, et toi tu as combattu sans lui. » Devenu successivement maître des milices, généralissime, patrice et allié du prince, il n’avait point d’égal dans l’état, quand Théodose dut pourvoir au choix de deux régens, et il lui confia l’Occident avec la tutelle d’Honorius. Il fit plus; afin de resserrer encore ces liens d’affection, il fiança le jeune empereur avec la fille aînée du futur régent, appelée Marie. Une seconde fille, nommée Thermancie, et un fils de neuf ou dix ans composaient, avec Marie, la famille de Stilicon et de Sérène.

Depuis dix ans que le gendre de Théodose tenait dans ses mains l’administration de l’armée, il s’y était fait une grande réputation de justice et de désintéressement, quoique cette dernière qualité lui ait été contestée plus tard. On lui reconnaissait surtout le talent de diriger les auxiliaires et de tenir équitablement la balance entre eux et le soldat romain; talent essentiel à cette époque, qu’il avait pu puiser à l’école de Théodose, mais auquel le prédestinaient son origine et sa parfaite intelligence du caractère des Barbares. On avait plus d’un doute sur ses sentimens religieux, et au fond Stilicon ressemblait à la plupart des soldats de son temps, pour qui un article de foi n’était guère qu’un article de discipline, et qui lisaient volontiers leur symbole sur le drapeau du chef qui les payait. Néanmoins, dans le désordre des dernières luttes, il s’était signalé par des actes qu’un grand fanatisme chrétien aurait seul pu justifier. Ainsi il avait fait enlever des portes du Capitole les lames d’or pur qui les revêtaient extérieurement, et auxquelles nul encore n’avait osé toucher dans les plus grands excès des guerres civiles. Sérène, à son exemple, avait arraché du cou d’une statue de Vesta un collier de perles qu’elle avait passé au sien, et une vieille vestale lui ayant reproché sa profanation et son vol, Sérène l’avait fait indignement maltraiter : on ajoutait qu’alors, au milieu des malédictions dont elle chargeait sa tête, la prêtresse avait prédit que ce collier l’étranglerait un jour. Enfin Stilicon avait fait brûler ce qui restait des livres sibyllins, ces oracles révérés où Rome païenne lisait ses destinées. On aurait pu prendre, d’après cela, le nouveau régent pour un implacable ennemi du paganisme; il n’en était rien pourtant, et on le vit entrer sincèrement, résolument, dans la politique inaugurée par le décret d’amnistie.

Dépositaire des dernières intentions de Théodose, il se plut à les interpréter, à les appliquer dans le sens le plus libéral. Sa politique,