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raître, si peu qu’on y ait intérêt. Il ne s’agit, bien entendu, que de l’Italie, la grande agitatrice du moment, car pour le reste de l’Europe, où les Italiens sont un objet de scandale, il est bien clair qu’on n’y vit à aucune époque rien de semblable, qu’il n’y eut jamais ni brusques invasions, ni conquêtes en pleine paix, ni provinces enlevées par surprise ou par révolution, ni rapts de peuples concertés dans le mystère des chancelleries. C’est donc de l’Italie seule que je parle et de ce qui s’y est fait à peu près de tout temps, puisque c’est le pays sur lequel la conquête a roulé dans toutes les directions et sous toutes les formes, puisque c’est l’éternelle arène où l’on est toujours allé se battre pour toute chose hormis pour l’Italie elle-même.

Un jour Naples, un jour la Toscane, tantôt le Milanais, tantôt le Mantouan ou Parme, chaque fraction de cette contrée fatiguée de dominations a eu son heure et a été à son tour le prix de quelque conflit soudain allumé au choc des ambitions contraires. Combien de fois la Sicile, cette vieille nourricière de Rome, a-t-elle changé de maître! Une de ses fortunes singulières est d’avoir appartenu un instant, après la paix d’Utrecht, à la maison de Savoie, et d’avoir été, au sein même du XVIIIe siècle, l’objet d’une de ces entreprises que nous avons quelquefois la naïveté de croire filles de l’esprit de révolution. Garibaldi cette fois s’appelait Alberoni; il était cardinal, premier ministre d’Espagne, et il fit contre le roi Victor-Amédée ce que Garibaldi vient de faire pour le roi Victor-Emmanuel. Je ne sais si notre hardi contemporain a été très respectueux pour le droit diplomatique : le cardinal Alberoni ne le fut guère plus. Je ne sais si l’Europe sait bien aujourd’hui où elle en est, ce qu’elle sera demain, où est sa règle, sa loi, son appui et sa force : elle ne le savait guère mieux au lendemain de la paix d’Utrecht, dans cet inextricable chaos d’où sortirent deux ou trois guerres. Et enfin de tous les ministres à l’esprit audacieux, à la carrière aventureuse, Alberoni est assurément un des plus originaux. Il remua tout, il agita tout; il se jeta en pleine paix sur la Sardaigne, qui était à l’empereur, sur la Sicile, qui était à la maison de Savoie. Il fut sur le point de recommencer pour l’Espagne l’ère des conquêtes, et il disparut tout à coup devant la coalition des inimitiés qu’il avait provoquées en Europe, non sans avoir rouvert toutefois les portes de l’Italie à la politique espagnole, à la maison de Bourbon, aux enfans de la seconde femme de Philippe V, cette Elisabeth Farnèse, son impétueuse complice. Le roi Victor-Amédée avait alors à Madrid des ministres qui suivaient d’un œil clairvoyant ce fourmillement d’intrigues et qui lui adressaient de ces rapports copieux et substantiels semblables aux relations de la diplomatie vénitienne. Ce sont ces rapports que