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que peut et ce que vaut la volonté individuelle, suscite dans l’âme! même de ceux qui souffrent la force qui doit les émanciper et les guérir.

Il y a pourtant quelques exceptions au tableau que nous venons de tracer, mais si rares qu’on peut à peine les compter. Nous ne les mentionnons en finissant que pour rendre hommage à des vertus qui s’ignorent, et qui sont dignes de toutes les admirations et de tous les respects. Il est beau d’être honnête, même quand cela ne coûte rien ; il est beau de porter courageusement le malheur, même quand on ne peut pas changer la destinée; mais rester pauvre quand on n’a qu’à vouloir pour cesser de l’être, vaincre à la fois la misère et le plaisir, n’est-ce pas le plus beau des triomphes? Pendant que tant de gens font litière de leur conscience, on trouve encore dans les ateliers parisiens quelques pauvres filles, fidèles aux leçons d’une mère et aux souvenirs de la famille absente, qui travaillent et souffrent tout le jour sans même donner un regret à ces plaisirs faciles, à cette abondance, à ce luxe, dont elles ne sont séparées que par le sentiment du devoir. Il faut les avoir vues dans leur isolement, dans leur dénûment et dans leur sainte innocence pour savoir ce que c’est que la véritable grandeur. Ceux qui vous ont visités n’oublieront jamais les leçons que vous leur avez données, chaumières de Septmoncel, où le pain manque sur la huche, où les rubis et les émeraudes roulent sur la table; ateliers de Lyon, où le satin broché étale sur le métier ses fleurs éblouissantes, tandis que la famille souffre avec résignation le supplice de la faim; tristes, froides, humides mansardes parisiennes, où de belles et languissantes filles poussent l’aiguille du matin au soir, et meurent à la peine plutôt que de faillir !


JULES SIMON.