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choir. On croirait volontiers que, la morte saison venue, l’ouvrière qui travaille pour les tailleurs sur mesure va se résigner à demander de l’occupation aux magasins de confection, où il n’y a pas de chômage ; mais non, le point d’honneur s’y oppose. Ce point d’honneur se retrouve dans toutes les spécialités, surtout à Paris, et il a son bon côté : il faut, pour devenir habile, qu’on soit fier de sa profession et de son talent. Elevons, pour tout concilier, le budget moyen de recettes à 500 francs, et ne retranchons rien pour les maladies, quoiqu’il soit impossible qu’une femme travaille sans interruption tous les jours ouvrables de l’année, rien non plus pour les crises industrielles, les malfaçons, refus d’ouvrage, etc. Quiconque pèsera attentivement toutes les causes de perte que nous omettons jugera que cette somme de 500 francs est au-dessus de la vérité. Voilà donc une femme qui jouira de 500 francs de revenu à Paris tant qu’elle se portera bien et qu’elle n’aura pas la vue détruite. Comment va-t-elle organiser ses dépenses ?

D’abord il faut se loger. On sait ce que sont devenus les logemens à Paris. Depuis plusieurs années, on perce de magnifiques boulevards à travers les rues les plus pauvres ; les maisons élevées en bordure ressemblent à des palais ; la riche bourgeoisie peut à peine les habiter, le nombre des logemens d’ouvriers va en diminuant. Il faut parler de 100 à 120 fr. sur la rive gauche, de 150 fr. sur la rive droite, pour avoir un cabinet mansardé à quelque sixième étage ; une chambre coûte 20, 30 ou 40 francs de plus. L’ancienne banlieue, maintenant annexée, offre encore quelques loyers moins chers ; mais en s’éloignant de l’atelier où elles travaillent, ou de l’entrepreneuse qui leur donne de l’ouvrage à emporter, les ouvrières se condamnent à une perte de temps importante, à une augmentation de dépense sur la chaussure. Nous mettrons donc 100 fr. pour le logement. Quelques-unes d’entre elles, ne pouvant supporter cette dépense, se mettent deux dans la même chambre ; mais ce n’est plus avoir de chez soi, et un pareil logement devient aussitôt insalubre. Les vêtemens, la chaussure, le linge, enfin une garde-robe plus que modeste, représentent par année, d’après les plus minutieux calculs, une dépense d’environ 115 fr. Le blanchissage est assez dispendieux pour une femme. En ne le portant qu’à 3 fr. par mois, nous supposons que l’ouvrière fera elle-même ses savonnages, et qu’elle profitera des lavoirs publics pour la lessive. Enfin il lui faut de la lumière pendant une grande partie de l’année, si ses journées sont de dix heures (elles sont le plus souvent de douze et de treize heures) ; il lui faut un peu de feu, ou tout au moins de la braise dans une chaufferette : comment se servira-t-elle de ses doigts, si le froid les engourdit ? Elle s’éclairera avec une mèche