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La broderie est ensuite rapportée à Nancy pour les finissions, qui se font soit dans l’atelier du fabricant, soit par des entrepreneuses spéciales. Les ouvrières de finission forment trois spécialités différentes, suivant qu’elles font le feston, le sable ou les jours. La perfection de la broderie tient à l’élégance du dessin, à la perfection de la main-d’œuvre et à la finesse du coton employé. A l’exposition universelle de 1855, une maison de Nancy avait envoyé plusieurs cols faits sur le même dessin, dont le moins cher coûtait 3 francs 50 centimes et le plus cher 50 francs. Malheureusement les étrangers brodent aussi bien que nous, et à meilleur marché. Nous ne tirons aucun avantage de la supériorité de nos dessinateurs à cause de la facilité des contrefaçons. La plupart de nos broderies sont faites avec du coton trop gros. En Suisse, le patron fournit le coton; c’est le contraire chez nous : il en résulte que l’ouvrière française achète du coton plus gros que l’échantillon, parce qu’il prend plus de place et finit l’ouvrage plus vite. Nos brodeuses, qui ne connaissent pas même le fabricant et n’ont de rapport qu’avec un entrepreneur qu’elles regardent comme un ennemi, travaillent sans amour-propre. Au contraire, le jour où l’on rapporte l’ouvrage est une fête à Saint-Gall. Dès le matin, on voit arriver de tous côtés les jeunes ouvrières endimanchées. Après l’office, elles se réunissent dans une grande salle, autour d’une longue table où on leur sert à chacune une topette de vin blanc. Elles se mettent à chanter un chœur à l’unisson, pendant que le fabricant parcourt la table, examine l’ouvrage rapporté et le paie. S’il le refuse et qu’il y ait doute, les contestations sont jugées par un syndicat qui siège dans la chambre voisine. L’acceptation du travail terminée, le fabricant jette sur la table une masse de broderie : chaque ouvrière choisit ce qui lui convient, et le maître inscrit le choix sur son livret, avec le prix convenu et l’indication du jour où la pièce doit être rapportée. Toutes ces femmes sont très laborieuses, opiniâtres même dans le travail. Elles se contentent, à cause de leur extrême frugalité, d’un salaire très minime. Les fabricans ont d’ailleurs moins de frais à supporter, parce qu’ils demandent leurs modèles à la contrefaçon. Ils cousent légèrement les pièces de broderie entre elles pour payer le blanchissage au mètre, tandis que chez nous on blanchit chaque objet séparément, et ils obtiennent ainsi une économie de 50 pour 100; aussi livrent-ils leurs produits à un bon marché que nous ne pouvons atteindre. En Saxe, la main-d’œuvre est à si bas prix qu’on se demande comment les ouvrières peuvent vivre. Cette redoutable concurrence explique l’état de malaise de nos brodeuses. Un très petit nombre d’entre elles qui brodent des armoiries peuvent gagner des journées de 3 et même de 4 francs. Il y