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artistes, dans l’ornementation des porcelaines et dans celle des éventails. On pourrait avec bien peu d’efforts donner un plus grand développement à leur travail dans ces deux industries. Pourquoi n’abordent-elles pas la gravure sur bois, aujourd’hui si répandue? Le petit nombre d’entre elles qui se sont vouées à cette profession atteignent aisément des salaires de 5 fr, par jour. On a ouvert l’année dernière un cours de gravure sur bois à l’école spéciale de dessin; les résultats de cet enseignement si nouveau sont déjà excellens. L’introduction d’un cours semblable dans l’école de dessin pour les filles serait un véritable bienfait.

Le défaut absolu d’éducation et d’apprentissage réduit un grand nombre de filles et de femmes à des professions qui ne leur rapportent que des salaires tout à fait insignifians. Nous citerons la vannerie, la sparterie, les fabricantes de paillassons, de plumeaux, de balais, les rempailleuses de chaises. Les pauvres femmes qui font des couronnes d’immortelles et des couronnes de raclures de corne de bœuf pour les cimetières gagnent à peine assez pour se procurer un morceau de pain. En général, il n’y a que le talent qui soit payé. La force, pour les hommes, est aussi une valeur, quoique de plus en plus dépréciée par la concurrence des machines. Le travail, sans talent et sans force, ne trouve à s’employer avec quelque profit que dans les manufactures.

Les professions dont nous avons parlé jusqu’ici s’exercent pour la plupart dans des localités déterminées. Le voisinage d’une fabrique, la position particulière d’une place de commerce, quelquefois le caprice de la mode ou l’influence d’une ancienne renommée donnent lieu au développement de ces industries. Voici deux professions qu’on retrouve partout et qui sont partout également nécessaires, le blanchissage et la couture. Le blanchissage a gardé quelque chose des anciennes corporations. Chaque année, le jeudi de la mi-carême, les blanchisseuses élisent une reine, royauté aussi onéreuse qu’éphémère. Ce jour-là, des centaines de fiacres amènent à Paris toutes les repasseuses de la banlieue, costumées en marquises et en pierrettes. Une légion de porteurs d’eau légèrement avinés et chamarrés de rubans multicolores leur fait cortège, et le soir les bateaux-lavoirs de la Seine se transforment en salles de bal. On reprend modestement le battoir et le fer à repasser dès le vendredi matin. Les blanchisseuses se divisent en deux corps d’état, les savonneuses et les repasseuses. Les savonneuses ont plus de mal, mais les repasseuses sont plus habiles, et elles ont à subir un long apprentissage; il faut au moins deux ans pour faire une bonne repasseuse[1]. Une

  1. Les savonneuses gagnent 2 fr. 50 c, rarement 2 fr. 75 c, pour une journée de quatorze heures, sur laquelle on leur accorde une heure et demie de repos. La maîtresse leur doit en outre un verre d’eau-de-vie tous les matins. Les repasseuses de linge fin ou linge tuyauté gagnent en moyenne 2 fr. 75 c. et les repasseuses de linge plat 2 fr. 50 cent.