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tact de l’air et de l’humidité qu’il renferme. Ces moyens, dont l’efficacité n’est pas douteuse pour les objets exposés à l’air libre, sont tout à fait insuffisans pour les pièces qui, comme les traverses de chemins de fer, les pilotis, les poteaux télégraphiques, sont en totalité ou en partie enfouies en terre ou plongées dans l’eau. Dans ces conditions, le meilleur bois, c’est-à-dire le cœur de chêne, se décompose complètement en moins de dix années. Il fallait donc s’attendre à des frais ruineux d’entretien, si l’on ne parvenait à trouver un procédé de conservation plus énergique. Le problème était posé depuis longtemps : il s’agissait de faire pénétrer jusque dans les fibres de la matière ligneuse un liquide anti-septique capable d’en empêcher la décomposition ; mais ce n’est qu’après des tâtonnemens nombreux qu’on est arrivé dans ces dernières années seulement à un résultat satisfaisant.

Plusieurs procédés ont été et sont encore employés pour opérer la pénétration des bois. Le plus ancien, mais le moins parfait, consiste simplement à immerger la pièce dans le liquide conservateur et à l’y laisser assez longtemps pour qu’elle puisse s’en imprégner. Il est indispensable que le bois soit très sec, pour que ce liquide, qui est ordinairement une dissolution de sulfate de cuivre, puisse s’infiltrer entre les fibres du tissu ligneux. Malgré cette précaution, la pénétration n’est jamais que superficielle, et si elle réussit à prolonger la durée du bois, elle est impuissante à en assurer la complète conservation.

Un second moyen a été imaginé en 1831 par Bréant, vérificateur-général de la monnaie à Paris. La pièce de bois est placée dans un cylindre métallique renfermant le liquide à injecter; au moyen d’une presse hydraulique, on opère dans ce cylindre une pression de dix atmosphères qui, refoulant les gaz contenus dans le tissu ligneux, y fait pénétrer le liquide. Des pièces de sapin injectées, par ce système, d’un mélange de résine et d’huile siccative, et employées à la construction du pont Louis-Philippe en 1835, ont été retrouvées intactes en 1848, tandis que des madriers de chêne non préparés avaient déjà dû être remplacés dans l’intervalle. Importé en Angleterre, ce procédé fut perfectionné par Bethel, qui imagina d’employer comme liquide à injecter la créosote, substance produite par la distillation de la houille, et en obtint d’excellens résultats[1]. Au nombre des procédés qui opèrent l’injection au moyen

  1. M. Gauthier-Villars, dans une remarquable étude sur la conservation des bois (Annales Télégraphiques, juin 1860), nous apprend que l’emploi de la créosote comme anti-septique a donné naissance à une industrie assez singulière. Cette substance agit sur tous les corps organisés aussi bien que sur le bois, et transforme en momies les cadavres introduits dans le cylindre injecteur. Des spéculateurs ont imaginé de mettre cette propriété à profit pour présenter une fabrique de momies, dont ils vendent les produits aux amateurs trop fanatiques des antiquités égyptiennes.