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Les parties de l’arbre trop faibles pour donner du chauffage, trop fortes pour entrer dans les bourrées, sont le plus souvent converties en charbon. Cette opération a pour but d’éliminer de la matière ligneuse tous les élémens inutiles à la production de la chaleur, de manière à ne conserver que le carbone, qui seul est nécessaire à la combustion. L’expulsion de ces substances diverses réduit de 80 pour 100 environ le poids de la matière à transporter, et permet de la livrer au consommateur à un prix bien inférieur à celui du bois brut qui produirait le même effet calorifique. La carbonisation s’effectue sur le parterre même des coupes, en disposant les bois en forme de meules qu’on recouvre d’une couche de terre, et dans lesquelles on met le feu : la combustion s’opère lentement, lançant par divers soupiraux pratiqués dans cette espèce de volcan des colonnes épaisses d’une fumée jaunâtre qui de loin font croire à un incendie. Il faut dix-huit jours environ pour que la carbonisation soit complète. C’est surtout dans les pays d’usines, où le charbon est employé comme combustible, que cette opération s’effectue sur une grande échelle, et qu’il importe de la conduire avec soin, de façon à éviter toute perte de matière. À cette condition et grâce au nerf que leur donne le combustible végétal, nos fers au bois, malgré leurs prix relativement élevés, pourront encore lutter avec avantage contre les fers au coke que l’Angleterre se prépare à nous envoyer.

Tous ces travaux d’exploitation sont exécutés par une population nombreuse d’ouvriers dont l’existence se passe au fond des bois, et dont les mœurs sont peu connues. La diversité même de ces travaux, qui exigent des aptitudes spéciales, établit entre les ouvriers de la forêt des différences sensibles. Les bûcherons proprement dits ne font en général qu’abattre les arbres et façonner le bois de feu, tandis qu’autour d’eux les scieurs de long, les fendeurs, les sabotiers, les boisselliers, les cercliers, les charbonniers, transforment le bois de mille manières. Le métier de bûcheron est à la fois pénible et dangereux, quoique cependant La Fontaine ait un peu chargé les couleurs à cet endroit :

Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois et jamais de repos.

Le bûcheron est souvent pauvre, mais il n’est jamais misérable. Habitant à proximité de la forêt, où l’appellent ses travaux, il possède le plus souvent une petite maison, un lambeau de terre qu’il cultive avec sa famille, une ou deux vaches qu’il envoie paître au dehors sous la garde d’un enfant. Pendant l’été, c’est-à-dire quand le travail chôme en forêt, il se fait moissonneur ou terrassier, et