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sent, pleins d’un feu et d’un mouvement singuliers. Je trouve bonne l’œuvre commencée, et pourtant je ne cherche point à me faire illusion. Puis tout à coup une idée me vient, je ne sais quoi, et voilà mes mains qui s’affaissent comme brisées ;… Le bon vouloir est envolé : il n’y a plus que des bras inertes où il y avait un homme,… je n’ose pas dire un artiste.

— Osez, osez le dire ! il dépend de vous que cela soit ; mais il faut que la volonté active et persévérante y soit tout entière et sans relâche.

— Je sais !… Ce qu’il faut, il le faut ! c’est votre devise ;… mais le faut-il ?

La pensée de Marthe, sollicitée par une souffrance étrangère, se dégagea d’elle-même, et trouva une vigueur inattendue dans cette révolution : elle parla à Valentin un langage élevé, s’anima subitement, et sortit de sa tristesse et de son abattement comme un malade réveillé de sa léthargie par une secousse. La force reprenait possession de son cœur. — Venez, venez souvent, lui dit-elle. La Grisolle ne vous a jamais été fermée.

Valentin pensait à M. de Savines. — Et il a pu l’oublier ! se disait-il.

En ce moment la cloche sonnait à l’église. — Minuit ! reprit Marthe, qui se leva. Elle tendit la main au tailleur d’images. — Debout et à demain ! dit-elle en le regardant d’un air d’amitié sincère. Valentin n’osa pas la suivre.

Comme elle traversait la place d’un pas rapide, elle sentit à son cou l’impression du froid ; elle y porta la main : le petit mouchoir de soie qui l’entourait tout à l’heure n’y était plus. Marthe se retourna et aperçut Valentin qui se baissait. Il venait de ramasser le mouchoir et le portait à ses lèvres avec un mouvement passionné. Marthe joignit les mains toute saisie. Un trait de lumière venait de l’éclairer. — Ah ! mon Dieu ! dit-elle.


VIII.

Il y avait de la tristesse et de l’étonnement dans ce cri, mais point de colère, peut-être même de l’attendrissement. Se pouvait-il que Valentin l’aimât à ce point ? Comment ne s’en était-elle pas aperçue plus tôt ? Marthe n’y comprenait rien. Il fallait songer à le guérir, et c’était encore une grosse affaire. Les sentimens ont parfois des conséquences qui ne semblent pas logiques, et qu’on serait fort embarrassé d’expliquer, si on ne savait que l’esprit a des caprices spontanés. La pensée que le tailleur d’images souffrait du même mal dont Marie avait pleuré inspira à Marthe, par une sorte de contre-coup,