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Marthe était couchée, la tête appuyée sur le tronc d’un saule. Pourquoi l’eau qui mouillait le pan de sa robe, tout à coup gonflée, ne l’emportait-elle pas ? Elle eût été ainsi débarrassée de la fatigue de chercher une route ; une lassitude extrême l’accablait. Sa main, qui pendait le long de son corps, jetait par mouvemens inégaux de petits cailloux dans l’onde ; elle n’y prenait pas garde. Puis, s’arrêtant et retirant sa main tout à coup : — C’était hier ! dit-elle.

Marthe ne put pas continuer et laissa tomber sa tête sur ses genoux. En ce moment, un enfant sortait de la forêt. Il pliait sous le poids d’un fagot de bois mort. Le bruit de sa marche sur le sentier pierreux arriva jusqu’aux oreilles de Mlle de Neulise. Elle releva le front et le regarda. L’enfant venait de s’arrêter et passait la manche de sa chemise sur son visage ruisselant de sueur. Le soleil tombait d’aplomb sur sa poitrine nue et hâlée. Deux fois il souleva son échine, et deux fois la pesanteur du fagot le fit se courber. Il secoua sa tête couverte d’une crinière de cheveux, prit un bâton de la main droite, et faisant un vigoureux effort : — Allons donc ! dit-il d’une voix claire et vibrante dont le son fendit l’air, et Marthe le vit s’avancer sur le sentier lentement, mais résolument.

Ce fut comme si une secousse électrique l’avait tirée de son engourdissement. Par un geste instinctif, elle passa, elle aussi, la main sur son front et se mit debout. Devait-elle, femme, montrer moins de courage que cet enfant ? Dieu ne mesurait-il pas à chacun son fardeau : à ce petit bûcheron battu par les pluies de l’hiver et les ardeurs de l’été le fagot de bois que l’effort des muscles soulève, à la femme éprouvée l’infortune dont le cœur devient maître en l’acceptant ? Raffermie par un élan intérieur, Marthe courut sur les traces de l’enfant, vida dans sa main tout ce qu’elle avait de menue monnaie sur elle, et l’embrassant : — Va, dit-elle, tu m’as donné l’exemple, que Dieu te vienne en aide !

L’activité de la marche et le grand air avaient rendu le coloris à son teint quand elle parut de nouveau devant Marie, qui, toute confuse et pâle encore, n’osait la regarder. Marthe s’assit auprès d’elle. — Petite sœur, dit-elle d’une voix doucement agitée, nous avons à causer. — Marie ne répondit rien. On devinait aux mouvemens de son fichu que son cœur battait à coups pressés. — M. de Savines, reprit Marthe, — et il lui semblait qu’elle allait mourir en prononçant ce nom, — a-t-il quelque soupçon de ce que tu ressens pour lui ?

— Oh ! non, repartit Marie… S’il le savait, comment supporterais-j e sa vue ?

— Ne tremble pas ainsi… Ne suis-je pas ta sœur, ta meilleure amie ? continua Marthe, qui passa un bras sous la taille de Marie et l’attira plus près d’elle… Un mot, une conversation peut-être, quel-