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— Que fais-tu ? s’écria-t-elle en lui montrant le nom tracé sur le sable.

Marie porta les mains à son visage et tomba dans les bras de Marthe effarée, sans haleine.

— Eh bien ! oui ! dit-elle.

— Toi ! toi ! reprit Marthe d’une voix étranglée. Elle saisit Marie par les épaules et la regarda en face.

Marie se leva et s’éloigna en chancelant ; la voix de Marthe lui faisait peur. La Javiole était par là qui donnait du grain à sa poule noire. Marthe courut à elle, sans trop savoir ce qu’elle faisait, et, l’entraînant par le bras, la conduisit jusqu’à la place que Marie venait de quitter. — Regarde ! dit-elle, elle l’aime donc ?

La Javiole lut le nom d’Olivier sur le sable. — Pardine ! dit-elle, le beau mystère !… Vous ne le saviez donc pas ?

Marthe était atterrée. — Mais depuis quand ? comment ? reprit-elle.

La Javiole se baissa pour caresser sa poule. — Vous m’en demandez plus long que je n’en sais, répondit-elle… J’imagine que mam’zelle Marie elle-même serait fort en peine de vous expliquer comment la chose lui est venue… Ça m’est arrivé une fois, du temps que je dansais… Je m’étais endormie bien tranquille… Le lendemain j’avais le cœur pris.

Mlle de Neulise s’éloigna. Elle avait la gorge serrée ; si elle fût restée plus longtemps auprès de la Javiole, elle se serait trahie. Pendant deux heures, elle marcha au hasard, ne voyant rien de ce qui se passait autour d’elle et n’entendant rien. La fatigue la força de s’arrêter ; ses pas l’avaient portée près d’un petit ruisseau au bord duquel elle s’assit ; une sensation de chaleur brûlante qu’elle éprouvait sur le front, les joues, les tempes, la fit se pencher sur l’eau pour y chercher quelque fraîcheur ; elle s’aperçut seulement alors qu’elle avait le visage baigné de larmes. Un instant Marthe regarda sa propre image comme celle d’une personne qu’elle n’aurait pas connue. Elle sourit tristement, — Qu’il est loin, le temps où je riais ! murmura-t-elle.

La fraîcheur du ruisseau dans lequel elle trempa son visage et ses mains ranima sa pensée ; elle eut la force de regarder au dedans d’elle-même. Son rêve avait duré l’espace d’une nuit ; son bonheur avait eu un soir. Celui qu’elle aimait, sa sœur l’aimait aussi ; mais était-ce bien une sœur que Marie ? N’était-elle pas plutôt une fille d’adoption à laquelle elle avait promis intérieurement de se dévouer sans réserve ? Fallait-il du premier coup lui percer le cœur ? Les larmes recommençaient à couler plus amères et plus abondantes. Personne ne passait le long de ce ruisseau au bord duquel