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le maître des milices, Stilicon, dont Théodose avait fait presque un gendre en le mariant à sa nièce Sérène, élevée près de lui comme une fille. Il crut sage, en mourant, de remettre la protection de tous les siens aux mains de cet homme comblé de ses bienfaits, et en lui conférant la tutelle légale d’Honorius, son second fils, à qui il laissait l’empire d’Occident, il le pria de veiller également sur Arcadius, l’aîné, déjà empereur d’Orient, et de ne les point distinguer dans son amour. Cette pieuse sollicitude d’un père mourant envers ses fils, ce mandat de protection donné à un gendre et à un ami, Stilicon les présenta plus tard comme un acte politique, une délégation expresse de la direction des deux princes et de la régence des deux empires; mais Arcadius avait près de lui, comme préfet du prétoire, un autre ministre de son père, à qui celui-ci, en quittant Constantinople, avait confié la garde de ce fils et l’administration du domaine oriental. Or le préfet d’Arcadius n’était pas homme à se laisser déposséder sans résistance. On pouvait entrevoir là plus d’une cause de dissension; aussi l’empereur catholique eut à peine fermé les yeux que la discorde éclatait autour de son cercueil avant de passer de sa famille dans l’empire.

Arcadius avait alors dix-huit ans, et son extérieur révélait au premier coup d’œil une extrême débilité d’esprit et de corps. Il était petit, grêle, presque noir, et sa physionomie timide, ses paupières à demi baissées, lui donnaient l’aspect d’un homme toujours somnolent, en qui ne résidait pas la plénitude de la vie. Son esprit n’était guère plus éveillé. Associé au trône impérial dès l’âge de six ans, et, par une singulière préoccupation paternelle, placé dans ses études sous la double direction d’un prêtre catholique et d’un philosophe païen, le fils aîné de Théodose n’avait jamais rien écouté que les flatteries de ses complaisans et les leçons des eunuques du palais. Au contact de ces derniers, il avait puisé un orgueil démesuré, une astuce profonde, et contre le préfet du prétoire Rufin, dont son père lui avait imposé la tutelle, une haine qui, pour être bien dissimulée, n’en était que plus implacable. Moins âgé d’environ sept ans, assez beau de corps et plus vif dans son allure, Honorius, le second fils de Théodose, n’était pas au fond plus intelligent et plus homme que le premier : il se développa même chez lui, à l’âge de la puberté, on ne sait quelle humeur bizarre, mêlée de froideur et de passion, une alternative de longues indifférences et d’ardeurs soudaines et passagères, où les uns trouvèrent l’indice d’une louable continence, tandis que les autres n’y voulurent voir qu’une impuissance naturelle, justifiée par la stérilité de ses deux mariages. À ce sujet, le bruit s’accrédita que la femme de Stilicon, Sérène, poussée par le désir de livrer le trône impérial à son propre fils, avait éteint dans le jeune Honorius, au moyen d’un breuvage, tout espoir de