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voix pénétrante. Faut-il que ma confession s’achève et vous apprenne à quel prix je retrouverai la résignation perdue ?… Ah ! qu’une main se donne à moi, qu’une femme m’enseigne à marcher courageusement dans cette route où j’ai mis le pied, qu’elle m’anime de sa présence et m’exalte de sa tendresse, qu’elle soit mon guide, mon inspiration ; que cette femme ait l’âme assez ferme pour me maintenir dans ces campagnes qui m’ont sauvé, qu’elle partage ma vie et peuple ma solitude !… Je n’aurai plus qu’à bénir Dieu et à lui consacrer l’éternité de mon amour dans l’éternité démon bonheur…

— Ah ! cette femme, vous la trouverez ! s’écria Marthe, qui ne respirait plus.

Le cheval de M. de Savines hennit et frappa du pied. Marthe se leva d’un bond. Olivier voulut la suivre, elle lui fit signe de s’arrêter ; il obéit, elle prit en courant le chemin de La Grisolle. La rougeur couvrait son front : un trouble, une ivresse délicieuse la remplissaient ; elle n’osait lever les yeux et voyait partout le regard heureux de M. de Savines. S’il lui avait parlé en ce moment, cette personne rieuse aurait fondu en larmes : dans la soirée, elle eut grand’peine à se maîtriser ; elle ne pouvait tenir en place, il lui semblait qu’il suffisait de la voir pour deviner son secret. Elle aurait voulu que tout le monde partageât son bonheur et serait morte avant de le confesser. M. Pêchereau vint surprendre les deux sœurs. — Çà, dit le bonhomme en posant sa canne dans un coin, est-on toujours heureux ici ?

— Ah ! Dieu ! comprends-tu, Marie ? il demande si nous sommes heureuses ! s’écria Marthe.

L’accent de Marthe frappa la Javiole. — Eh ! notre demoiselle, vous avez la fièvre, dit-elle.

— Je ne sais pas, répondit Mlle de Neulise, qui se sauva dans sa chambre.

Le lendemain, elle était levée avec le jour. Elle craignit que M. de Savines ne vînt et souhaitait presque de ne pas le voir. Et cependant, comme elle l’aurait détesté, si elle n’avait pas entendu le pas de son cheval ! Elle était effrayée à la pensée de son visage quand il la regarderait. Au bout d’une heure ou deux de promenade, elle aperçut Marie qui travaillait sous un arbre ; Marthe la rejoignit. L’une était dans ses heures de rêverie, l’autre n’avait pas envie de parler, comme si elle eût redouté que son secret ne s’envolât avec le premier mot. Le silence se fit entre elles. Tout à coup Marthe remarqua que sa sœur écrivait du bout d’une baguette sur le sable. Les lettres naissaient lentement sous l’effort mécanique de sa main ; les yeux de Marthe s’élargirent, un frisson la prit ; le nom d’Olivier parut tout entier devant elle. Marthe saisit la main de Marie.