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senté plus tôt à La Grisolle. — Vous saviez pourtant bien que nous existions ? lui dit Marthe.

— Je connaissais votre chapeau de paille et l’ombrelle verte de Mlle Marie ; mais ce n’était pas une raison pour leur rendre visite, répondit Olivier.

Il jura gaiement de regagner le temps perdu. La distance qui séparait La Grisolle de la vieille abbaye des Vaux-de-Cernay n’était pas bien grande. À pied, le garde-général la franchissait en moins d’une heure ; à cheval, c’était l’affaire d’un temps de galop. Le petit coin qu’il s’était ménagé dans les vastes bâtimens qui dépendent de ces ruines imposantes ne le voyait plus beaucoup ; mais le soir, après une absence dont chaque jour prolongeait la durée, on apercevait une lumière qui tremblait derrière la vitre de sa chambre, et que les longues heures de la nuit n’éteignaient pas toujours. Souvent encore on le rencontrait errant parmi les décombres, sous les voûtes écroulées, à l’heure rêveuse où la lune dessinait sur le gazon lumineux la rosace gothique de l’abbaye. Certes il n’interrogeait pas, dans ces momens-là, les inscriptions perdues au milieu des herbes. Son cheval, sa liberté, son repos, ne lui suffisaient peut-être plus.

Si Marie ne pouvait pas être animée et bruyante, la Javiole remarquait qu’elle n’était plus attristée et pareille à un rameau de saule : on l’avait surprise en flagrant délit de chanson ; Marthe au contraire paraissait plus sérieuse. Certes elle n’arrivait pas à la mélancolie, le rire était toujours l’hôte joyeux de ses lèvres ; mais elle gardait parfois le silence pendant un quart d’heure. Elle ne manquait jamais de s’arrêter avec Francion, quand elle le rencontrait dans les champs, et de causer avec lui. Il était devenu son protégé.

Valentin, qui ne passait presque pas un jour sans se rendre à La Grisolle, fut bientôt au courant de cette intimité ; Marthe le présenta même à M. de Savines, mais par surprise. Il devint un peu pâle quand Olivier lui prit la main. Mlle de Neulise voulut qu’il montrât au garde-général quelques-unes de ses figurines, et pour vaincre sa résistance, on se promit de visiter sa chambre. C’était une promenade dans un atelier. On admira beaucoup ses dernières productions, et elles méritaient les éloges qu’on leur donna. Le père Favrel ne se tenait pas de joie. M. de Savines offrit d’emporter une Pomone d’un modelé charmant. — Ne soyez pas modeste dans vos prétentions, dit-il ; l’ami auquel je destine cette statuette n’aura pas souvent de ces bonnes fortunes.

Valentin assura qu’il avait encore à donner un coup de ciseau à la Pomone. Deux ou trois fois il trempa ses lèvres dans un verre d’eau pendant cette visite.

À quelques jours de là, Marthe lui demanda des nouvelles de la