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cissemens dans un moment où des capitaux français, privés de tout concours politique, s’aventurent dans cet Orient.

Nous savons que ces capitaux sont surtout attiras par l’appât d’un gros revenu, et que le taux niAme de ce revenu les avertit des risques qu’ils affrontent. High interest, bad security, disait le duc de Wellington avec son bon sens ordinaire : gros intérêt, valeur précaire ! Mais puisque l’argent français devait aller chercher fortune en Turquie, nous eussions mieux aimé qu’il y eût été précédé et soutenu par un actif concours politique. Nous aurions voulu avoir des garanties politiques que la Porte fera un bon usage (le l’emprunt qu’elle a contracté, qu’elle l’emploiera en effet à éteindre réellement les 200 millions de dette flottante exigible qui ont été la cause de cet appel fait au crédit français ; nous aurions désiré, pour que la situation financière de la Turquie fût améliorée par l’emprunt au lieu d’en être aggravée, que l’on exigeât de la Porte qu’elle mît la main à une modification de son système d’impôt qui lui permît de retrouver l’équivalent des 27 millions de francs qu’elle vient d’aliéner au profit des souscripteurs du nouvel emprunt. Les capitaux, ralliés par la spéculation parmi les épargnes françaises les plus modestes, méritaient bien, dans une aventure si nouvelle pour eux, d’être éclairés et guidés par une tutelle gouvernementale nettement accusée. Nous exprimons ce vœu ou ce regret, comme on voudra, à cause de l’étroite et naturelle union qui lie ici l’intérêt politique à l’intérêt financier : si la question était purement économique, nous nous garderions bien d’en appeler ainsi à l’état, car nous professons le principe anglais, que l’état n’a point à intervenir dans les affaires des particuliers, et que chacun doit rester maître de s’exposer aux chances qu’il veut courir.

Une remarquable brochure, l’Empereur François-Joseph et l’Europe, attaque avec une grande habileté et une rare maturité de raison un problème plus pressant et plus redoutable encore que celui des destinées de la Turquie. Il s’agit de cette guerre entre l’Italie et l’Autriche pour la possession de la Vénétie, guerre terrible dont l’approche répand sur cette fin d’année une ombre triste. L’auteur de cet écrit a le sentiment bien réel des maux que cette guerre, ou la menace qui la tient suspendue sur l’Europe, cause au monde, car ces maux, il les apprécie au point de vue économique, point de vue que trop peu d’hommes d’état en Europe ont présent à l’esprit. Dominé par la pensée du désordre, funeste pour tous, qu’engendrerait la reprise de la lutte, l’auteur plaide avec une conviction honorable la thèse de la cession de la Vénétie à l’Italie moyennant une indemnité qui pourrait relever les finances autrichiennes. Ce n’est, dira-t-on, qu’un lieu-commun et une utopie ; en tout cas, l’écrivain a fait de ce lieu-commun une conception originale par la convenance et la généreuse sincérité de sa discussion. Et que faudrait-il pour que cette solution cessât d’être une utopie et rendît l’Europe à elle-même et aux prospérités de la paix ? Une manifestation calme et souveraine de l’opinion publique. e. forcade.