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soins véritablement sociaux auxquels la presse répond de notre temps ; mais l’analogie invoquée dans les procédés de législation n’existe même pas : la comparaison invoquée par M. de Persigny condamne sa thèse.

Il y a en effet une différence radicale entre la législation de la presse anglaise, même sous Guillaume III et les premiers Georges, et la condition actuelle de la presse en France. Nous avons vu qu’en France le régime de la presse, comme en convient M. de Persigny, est une exception au droit commun. En Angleterre, il fut au contraire toujours conforme au droit commun, sauf durant les sept premières années du règne de Guillaume III, où la presse fut soumise à la censure. Cette censure, qui exista ainsi quelque temps sous Guillaume III, était un héritage des Stuarts. Elle fut loin, sous le roi de la révolution, d’avoir l’importance d’un système fondé sur la raison d’état ; elle finit du reste d’une façon comique, et qui montre combien d’esprit et de portée elle différait du système de précaution employé depuis 1852 contre la presse française. Le censeur sous Guillaume III était un nommé Bohun, écrivain ridicule, qui croyait pouvoir concilier la doctrine absolutiste des jacobites avec la plus entière fidélité au roi de la révolution. En bel esprit indiscipliné de ce temps, un certain Blount, qui avait eu à souffrir de la sévérité du censeur, se vengea de lui par le tour suivant, au succès duquel le grand historien anglais, Macaulay, attribue l’origine de la liberté de la presse en Angleterre. Blount fit un livre calqué sur les opinions de Bohun, les outrant même de façon à les rendre odieuses à tout autre que le naïf censeur. Celui-ci, enchanté d’un si bon livre, se hâta d’en autoriser la publication. L’ouvrage parut sous le titre de Guillaume et Marie conquérans. C’était une théorie de l’absolutisme au profit du souverain révolutionnaire. En d’autres temps, en d’autres lieux, cet accouplement de doctrines hétérogènes eût obtenu peut-être un grand succès. Dans l’Angleterre de 1693, il produisit un violent scandale. La chambre des communes s’en émut, elle manda Bohun à sa barre, le punit pour avoir donné son visa à l’exposé d’opinions absolutistes aussi effrontées, et demanda au roi par une adresse la destitution du stupide censeur. Ce coup tua la censure, qui fut peu de temps après supprimée par un vote parlementaire, à la suite d’une discussion où, bien loin d’invoquer ces raisons d’état et cette politique de salut public dont parle M. de Persigny, on ne se décida que sur des raisons pratiques, triviales, vulgaires. On fit valoir les intérêts commerciaux et industriels, l’intérêt des capitaux engagés dans le commerce de la librairie et de l’imprimerie. À partir de ce moment, la presse fut libre en Angleterre ; c’est de cette époque que datent la multiplication progressive et la diffusion des gazettes. Jamais depuis lors la presse anglaise n’a été ramenée sous un régime d’exception.

On a peine à s’expliquer la confusion qui paraît régner sur ce point dans l’esprit de M. de Persigny. Le ministre de l’intérieur reconnaît dans sa dissertation historique que les délits de presse étaient du ressort du common