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Puisse-t-il d’un ingrat éterniser l’absence!
Il faudrait par fierté sourire en sa présence :
J’aime mieux mourir sans témoin.
Il ne reviendra plus, il sait que je l’abhorre :
Je l’ai dit à l’Amour, qui déjà s’est enfui.
S’il osait revenir, je le dirais encore;
Mais on approche, on parle... Hélas! ce n’est pas lui!

Ce délire continue longtemps; mais à la fin le cœur s’est épuisé dans les tourmens de l’incertitude, dans les alternatives de l’espérance et du regret. Le poète le sent qui défaille et lui fait exhaler son dernier souffle passionné dans une élégie que ne désavouerait pas un grand poète. Écoutez ces paroles suprêmes, ces novissima verba d’un cœur frappé à mort :

S’ils viennent demander pourquoi ta fantaisie
De cette couleur sombre attriste un temps d’amour.
Dis que c’est par amour que ton cœur l’a choisie;
Dis que l’amour est triste ou le devient un jour,
Que c’est un vœu d’enfance, une amitié première :
Oh ! dis-le sans froideur, car je t’écouterai !
Invente un doux symbole où je me cacherai.
Cette ruse entre nous encor,... c’est la dernière :
Dis qu’un jour dont l’aurore avait eu bien des pleurs.
Tu trouvas sans défense une abeille endormie.
Qu’elle se laissa prendre et devint ton amie.
Qu’elle oublia sa route à te chercher des fleurs.
Dis qu’elle oublia tout, sur tes pas égarée.
Contente de brûler dans l’air choisi par toi.
Sous cette ressemblance avec pudeur livrée.
Dis-leur, si tu le peux, ton empire sur moi.
Dis que, l’ayant blessée, innocemment peut-être.
Pour te suivre elle fît des efforts superflus.
Et qu’un soir accourant, sûr de la voir paraître.
Au milieu des parfums tu ne la trouvas plus;
Que ta voix, tendre alors, ne fut pas entendue.
Que tu sentis sa trame arrachée à tes jours.
Que tu pleuras sans honte une abeille perdue,
Car ce qui nous aima, nous le pleurons toujours;
Qu’avant de renouer ta vie à d’autres chaînes.
Tu détachas du sol où j’avais dû mourir
Ces fleurs, et qu’à travers les plus brillantes scènes.
De ton abeille encor le deuil vient t’attendrir.

Enfin l’orage a cessé tout à fait, et il ne reste plus qu’une âme foudroyée et un cœur noyé sous le déluge de ses larmes. Le recueil intitulé Pleurs et pauvres Fleurs est plus particulièrement que tous les autres l’expression de ce sentiment de lassitude qu’on pourrait appeler la mort dans la vie. Le poète est arrivé au dernier détachement de lui-même et de la terre. Nous en extrairons un court frag-