Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terres achetées par son chef dans les environs. Ce fut un bonheur pour les pauvres du village. Par une suprême bénédiction due à sa noble vie, les enfans d’Oberkampf étaient dignes de lui, et, comme la meilleure part de son héritage, il leur avait transmis un reflet de l’active bonté de son âme. Ils furent donc tous unis dans la pensée de constituer une dotation aux pauvres de Jouy. M. Émile Oberkampf, Mme Féray d’Essonne et Mmes Mallet (les deux jeunes sœurs avaient épousé les deux frères) achetèrent le capital d’une rente de 3,000 francs ; quelques riches habitans du pays ajoutèrent leur offrande, et depuis, pendant les six mois rigoureux de l’année, des distributions journalières d’alimens, de vêtemens et d’autres objets de première nécessité furent faites aux familles indigentes. On se rappelle peut-être au début de ce récit, la petite habitation prise à loyer par Oberkampf, pour y installer sa naissante industrie ? Cette propriété, connue sous le nom de la Maison du Pont de pierre, ayant été mise en vente en 1834, Mme Jules Mallet s’empressa d’en faire l’acquisition. Elle pensa que la meilleure manière de consacrer l’humble théâtre du début de son père, c’était de lui assurer une destination utile au prochain. Les paroles du divin Maître étaient vivantes dans son âme : « Laissez venir à moi les petits enfans. » Agrandie et réparée, la maison devint une salle d’asile où les pauvres enfans du village furent entourés de tous les soins qui leur auraient manqué chez eux. La vraie charité ne fait pas les choses à moitié. Comme, en dehors du groupe principal qui entoure l’église, les habitations vont s’éparpillant dans la vallée à une assez grande distance, un petit omnibus va prendre le matin les enfans éloignés et les ramène le soir chez eux, afin que l’hospitalité de la salle d’asile ne soit achetée par aucune fatigue. Il n’y a donc point à s’étonner que la mémoire d’Oberkampf soit restée en grand honneur à Jouy. La principale rue du village porte ce nom, devenu, malgré sa physionomie étrangère, une des gloires de l’industrie française et l’illustration de la localité. On a marqué la place où le fabricant reçut la décoration des mains de l’empereur. Les vieillards qu’on interroge ne tarissent pas sur les splendeurs de Jouy au temps de la manufacture. Il y a enfin dans ce village assez ignoré des environs de Paris, avec moins de poésie dans l’expression, mais avec autant de vérité dans le sentiment, quelque chose du culte des illustres bourgades helléniques pour le demi-dieu étranger, colonisateur et importateur des arts utiles, que le peuple vénérait comme le fondateur et le père de la cité.


Urbain Fages.