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morales de l’homme ? Heureux celui qui ajoute quelque chose à cette grande histoire, sous quelque forme que ce soit, même sous la simple forme d’une note (pourvu que la note soit essentielle et qu’elle manquât dans les éditions précédentes de l’œuvre) mise au bas du travail d’un de nos devanciers ! Et il importe peu, je vous assure, que le chapitre ajouté soit gai ou triste, plaisant ou morose ; l’important, c’est qu’il soit écrit, puisque les aventures qu’il raconte et les secrets qu’il dévoile, sont vrais et réels. Tel est le titre avec lequel Hawthorne se présente devant nous : il a écrit un chapitre de cette histoire morale. Le chapitre sans doute n’est pas précisément au plus grand honneur de l’âme et du cœur humain ; mais il est vrai et méritait par conséquent d’être commenté et expliqué, car il n’est pas plus permis au critique et au philosophe d’esquiver une vérité, sous prétexte qu’elle est déplaisante, qu’il n’est permis à l’honnête homme, dans la vie ordinaire, de faire semblant de ne pas voir un fait réel, sous prétexte qu’il est gênant.

Et en second lieu ne peut-on pas tirer une moralité même plus élevée et plus pure de la contemplation des perversités de l’esprit et des travers du cœur que de la contemplation des vertus les plus austères ? N’est-il pas vrai que la connaissance minutieuse du mal peut être un agent plus actif pour le bien que cette répugnance trop superficielle et trop délicate qui se détourne du mal moins par horreur vertueuse que par dégoût élégant ? Les œuvres d’Hawthorne, sagement lues par un esprit méditatif, que le dilettantisme n’a pas trop perverti, et par un cœur que l’expérience a instruit sans le blesser ni le salir, seront donc des agens d’élévation morale plus vraie et plus noble parfois que bien des œuvres plus sévères et plus irréprochables en apparence. Nous pouvons appliquer aux œuvres d’Hawthorne les paroles que le sculpteur Kenyon applique à la fin de son livre à Donatello. Laissons donc l’auteur lui-même expliquer la moralité de ses écrits. « Voilà ce qui cause ma perplexité. Le péché a fait l’éducation de Donatello et l’a élevé au-dessus de lui-même. Le péché, que nous regardons comme la tache la plus effroyable de notre univers, est-il donc, comme le chagrin, simplement un élément de l’éducation humaine qui nous sert à atteindre un état d’âme plus haut et plus pur que celui que nous aurions atteint sans son secours ? Adam est-il tombé, afin de nous fournir le prétexte et les moyens de nous élever à un paradis, plus durable et plus désirable que celui qu’il habita ? »


EMILE MONTEGUT.