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La mère et les enfans ensemble s’agenouillent.
La veuve cherche en vain les prières des morts :
Dans son esprit troublé les mots latins se brouillent ;
Le désespoir l’accable et fait plier son corps.

Ses yeux roulent des pleurs, sa poitrine amaigrie
Se gonfle de sanglots. « O pauvre homme, pourquoi
As-tu si vitement quitté la métairie ?
Ah ! tu devais nous prendre au moins tous avec toi !…

« Les petits des oiseaux meurent avec le père,
Lorsque fond sur le nid l’épervier ravisseur ;
Nous, nous sommes restés seuls et nus sur la terre,
Sans argent, sans amis et sans bras protecteur.

« Les huissiers sont venus et les gens de justice ;
Dans la grange ils ont pris notre blé moissonné,
Le foin dans le fenil, dans le pré la génisse,
Tout jusqu’à l’anneau d’or que tu m’avais donné.

« La ronce maintenant couvre nos champs en friche,
Et par les maraudeurs l’enclos est dévasté ;
Le boulanger du bourg nous refuse une miche,
Le logis tout entier craque de pauvreté.

« Bienheureux sont les morts !… » Et tandis qu’elle pleure,
Midi sonne, les prés sont baignés de rayons,
Les lézards frétillans sortent de leur demeure,
Les cigales au loin chantent dans les sillons.

Pourquoi ce gai sourire auprès de la souffrance,
Et cette floraison en face de la mort ?
Sur les tombes l’épi verdoie et se balance :
O contraste qui heurte et navre tout d’abord !

La veuve cependant se relève plus forte,
Et la sérénité luit sur son front hâlé ;
C’est qu’au bruit des soupirs que l’écho lui reporte,
Le défunt, éveillé dans la fosse, a parlé.

Il a chargé les fleurs, la mousse et la rosée,
Et les joyeux grillons, et les papillons blancs,
De ranimer la triste et pauvre délaissée
Avec des mots d’amour tendres et consolans.


ANDRE THEURIET.