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ou vulgaires, qui remplissent la vie. M. Scholten pense, comme Schleiermacher, que la vie religieuse doit être à la vie ordinaire ce que l’harmonie est à la mélodie, qu’elle relève et qu’elle soutient. C’est ainsi que la vie divine doit couler de plus en plus dans les veines de l’humanité, et si sa marche est lente au gré de notre impatience, il n’en faut pas moins avoir foi dans l’avenir, et, sans se laisser rebuter par les obstacles de tout genre, marcher à sa rencontre avec la ferme et joyeuse assurance que, selon la sublime prévision d’un apôtre, « Dieu sera enfin tout en tous. »

Ce qui donne beaucoup de force à cet enseignement, qu’il a fallu esquisser ici à très grands traits, c’est qu’ayant fait une étude approfondie des vieux docteurs réformés, M. Scholten se fait fort d’affirmer que, loin de rompre avec la tradition calviniste, il la continue dans son prolongement logique et naturel. Il est facile de comprendre maintenant qu’un tel point de vue est fait pour lui concilier bien des sympathies en Hollande. C’est pourquoi, sans doute, la tendance orthodoxe voit dans M. Scholten son adversaire le plus redoutable et dirige contre lui d’incessantes attaques. L’école de Groningue commence même à trouver grâce à ses yeux en comparaison de cette théologie bien autrement conséquente et radicale. D’un autre côté, l’esprit, critique avant tout, de M. Opzoomer ne se tient pas pour satisfait de cet enseignement, très libéral sans doute, mais très affirmatif. Cependant la distance entre M. Scholten et lui me paraît moins grande qu’elle ne semble à bien d’autres. Tous deux étant d’accord pour faire précéder toute spéculation de l’observation expérimentale, la critique de M. Opzoomer peut servir de correctif permanent à des affirmations qu’il nie moins qu’il ne les juge trop hâtives, tandis que le système de M. Scholten, en raison même des principes qui en dirigent la méthode, reste ouvert à toutes les corrections qu’une observation plus approfondie encore de la nature et de l’histoire pourra réclamer par la suite. Le point sur lequel on croit trouver ce système plus vulnérable que partout ailleurs est le déterminisme moral et la notion purement négative du péché, qui en est le corollaire inévitable. On prétend que M. Scholten a bien voulu éviter le fatalisme, mais n’y a pas réussi.

Le moment n’est pas venu de décider de la valeur réelle soit de ces attaques, soit de la doctrine qui en est l’objet. La lutte est loin d’être à son terme. Le parti orthodoxe, abstraction faite de la vérité, qu’il croit toujours posséder, pourra s’appuyer longtemps encore sur ce qu’il y a de plus tenace au monde, l’amour de la tradition religieuse chez le peuple et dans les cœurs pieux, à qui leur peu de besoins intellectuels rend la croyance facile. La tendance prudente et mitoyenne qui a son centre à Groningue est encore, à l’heure qu’il est, celle de