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d’un jeune homme sur d’imperceptibles détails de cette science, mère de tant d’autres, au service de laquelle il a amassé les trésors d’une prodigieuse érudition. Il s’est peu occupé du dogme et de la critique historique, mais il aime beaucoup trop la vraie science pour s’effaroucher des nouveautés de la théologie contemporaine et pour imiter certains vieillards atrabilaires qui maudissent les pas que l’on fait en avant sur la route où ils ont introduit eux-mêmes la jeunesse de leur temps. Il a su marcher constamment avec la science actuelle, dont il peut se glorifier d’avoir préparé, du moins dans son pays, les développemens récens. C’est le génie de la vieille philologie encourageant la jeune critique, tout en lui donnant des conseils de prudence pleinement autorisés par une longue expérience.

Le grand mouvement théologique de l’heure présente a surtout pour organes à Leyde MM. Kuenen et Scholten[1], le premier pour la critique, le second pour le dogme. M. Kuenen est encore jeune. Orientaliste de première force, doué d’une lucidité de vues et d’un tact exégétique qui font de lui un critique dans la plus haute acception du mot, il promet à la théologie hollandaise une illustration nouvelle. On aura une idée de ce que vaut M. Kuenen par ses vues générales sur la prophétie chez les Hébreux. M. Kuenen rejette formellement l’idée vulgaire qu’on se fait des prophètes, comme si la mission de ces hommes extraordinaires n’eût été que de prédire l’avenir et en particulier de décrire plusieurs siècles d’avance quelques circonstances accidentelles de la vie du Christ. Les prophètes, dit-il, ont prêché bien plutôt que prédit. Leurs prédictions, quand ils en font, sont en rapport étroit avec leur temps, leur entourage, leur personnalité, ce qui ne pourrait être si elles eussent été dictées d’en haut comme des oracles où la raison humaine n’entrerait pour rien. D’ailleurs on peut démontrer que plusieurs de ces prédictions n’ont pas été réalisées. Le prophétisme d’Israël est, comme son monothéisme, un phénomène qui atteint chez ce peuple son plus haut et son plus beau développement, mais qui se retrouve avec des analogies plus ou moins étroites chez d’autres peuples sémitiques. L’enthousiasme pour la patrie et la religion nationale, voilà le trait commun à tous les prophètes. Ce qu’il y a de souvent

  1. La faculté de théologie de Leyde a perdu, il y a quelques années, un jeune professeur, M. Niermeyer, qu’une mort prématurée enleva au moment où sa réputation commençait à grandir. Ce fut lui qui révisa, confirma par beaucoup d’argumens nouveaux et naturalisa en Hollande l’interprétation moderne de l’Apocalypse, cette énigme dix-huit fois séculaire que la patience et la sagacité germaniques ont enfin devinée. Cette facilité a subi récemment une nouvelle perte dans la personne de M. Kist, dont les travaux en histoire ecclésiastique jouissent en Allemagne d’une grande estime.