Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/922

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du commerce ceux de l’exploitation agricole entreprise sur une grande échelle. Les voici maintenant partout, au nombre de plusieurs milliers, se renouvelant par de continuels arrivages. Ces infatigables travailleurs ont donc pour ainsi dire conquis les Philippines ; mais, là comme ailleurs, ce ne sont que des conquérans de passage. Après quelques années de séjour, ils retournent dans leur pays. Ce mouvement de va-et-vient, favorisé par le voisinage et entretenu par l’habitude, entre les côtes du Céleste-Empire et l’archipel, ne semblerait en définitive qu’un fait très ordinaire, s’il ne fallait pas tenir compte d’une circonstance, insignifiante au premier abord, qui caractérise l’émigration chinoise. Observez ce bâtiment qui, venu du Fo-kien, débarque à Manille son chargement de passagers. Vous verrez descendre à terre cent Chinois, vos yeux chercheraient vainement une Chinoise. Ces colons apportent à Luçon leurs bras, leur intelligence, leur amour du gain, quelques-uns même leurs capitaux ; mais il leur manque l’élément le plus essentiel de toute colonisation, la famille ! Les Chinois bravent, pour émigrer, les prohibitions légales ; les mœurs, plus fortes que les lois, enchaînent les Chinoises au sol natal. On comptait en 1855 à Manille et dans le faubourg de Binondo près de six mille Chinois, et seulement deux femmes chinoises ! La suite se devine. Le Chinois, qui ne pratique guère la continence, recherche une femme du pays, et comme il a en même temps l’esprit de famille, il veut une femme légitime ; mais le mariage n’est permis qu’aux catholiques : à merveille ! Il se convertit, il se marie, et, selon l’usage de son pays, il aura beaucoup d’enfans. Telle est l’origine de la population métisse qui s’est multipliée si rapidement sur toute l’étendue des Philippines, et qui ne fera que s’accroître, car les Chinois vont vite en besogne. Cette race conserve, même à travers plusieurs générations, le type et le caractère paternels. Elle a le teint jaunâtre et les yeux bridés, qui dénotent son origine, et, ce qui vaut mieux, elle a l’intelligence, l’activité, l’amour du travail. C’est elle, on peut le prédire, qui défrichera un jour les Philippines, et qui, rentrant par de successifs croisemens dans la famille indienne, régénérera le sang tagal. Voilà l’immense service que l’immigration chinoise rend en ce moment à la colonie espagnole, où l’on ne saurait compter de longtemps encore sur le concours actif de l’élément européen.

Il n’y a guère en effet dans les Philippines plus de deux mille Espagnols nés en Europe ; si l’on ajoute à ce chiffre environ deux cents étrangers, établis pour la plupart à Manille, on a le contingent de la population européenne de l’archipel. Un certain nombre de créoles espagnols, nés dans le pays, conservant l’orgueil de leur origine castillane et formant une sorte de caste à part, peuvent également figurer dans ce dénombrement. En résumé, la race blanche