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prédilections pour tout ce qui est idéal, n’a point d’humeur chagrine contre son siècle : il ne veut pas voir la fin de la poésie dans l’ère des grandeurs matérielles, et ici M. Edmond Py nous ramène, ce me semble, à ce problème dont je parlais, qui est celui des destinées mêmes de la poésie.

Les tendances du monde contemporain sont-elles donc définitivement mortelles pour l’esprit poétique ? C’est le grand débat sur lequel se fixent tant d’intelligences incertaines ; c’est la question qui s’agite entre la Muse et le poète dans un morceau que l’auteur appelle le Progrès moral et le Progrès matériel, — faute d’avoir trouvé sans doute un titre plus dégagé et moins prosaïque. La Muse découragée est toute prête à s’envoler de ce monde. Pourquoi resterait-elle ? Elle n’aime ni le bruit de la forge, ni les batailles de l’industrie. Elle n’a point de place au festin des prospérités matérielles. Qu’a-t-elle à faire lorsque dans les âmes règne l’unique passion de l’or et de la jouissance, lorsque toutes les volontés n’ont qu’un mobile, et ne s’efforcent à la fois de surprendre tous les secrets de la nature que pour en faire un moyen de richesse ? Les solitudes elles-mêmes ont perdu leur prestige ; le sein des mers a été violé, la cime des monts a été dépouillée, tout a été livré à l’exploitation ardente de l’esprit nouveau. Qu’a donc à faire la Muse dans les aventures présentes de la race humaine ? — Et le poète à son tour cherche à retenir la Muse. Pourquoi s’enfuirait-elle ? Ce siècle est plus tourmenté sans être pire que les autres. Cette gigantesque transformation du monde par le travail est-elle donc sans poésie ? Et les hommes ne sont-ils pas toujours des hommes ayant dans le cœur les mêmes affections, les mêmes désirs et les mêmes douleurs ? L’âme n’a point changé d’essence, et ses luttes, ses agitations sont l’éternel aliment de la poésie. Le drapeau du pays ne flotte-t-il pas toujours sans souillure ? Le berceau ne réjouit-il pas la maison ? Les sources de la foi et du dévouement sont-elles donc taries parce que tous les bras se lèvent pour le travail, parce que la terre, embellie sous nos pas, nous livre des moissons plus abondantes ? — Ainsi se poursuit ce dialogue à travers lequel on entrevoit un des plus délicats et des plus sérieux problèmes du moment, celui même qu’on est toujours tenté d’évoquer quand on feuillette tous les vers nouveaux. La Muse, nous assure l’auteur de Foi et Patrie, consent à rester sur cette terre. Heureux dénoûment de cet ingénieux débat !

La plus éloquente réponse serait sans doute encore quelque belle œuvre apparaissant tout à coup, venant sceller la réconciliation de la poésie et du siècle. Ce serait un blasphème contre le genre humain de dire que cette œuvre n’apparaîtra pas. Vous vous souvenez, — et qui ne se souvient ? — de cette haute et fière parole de Pascal :