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Les postes, échelonnés de dix en dix verstes environ, sont gardés par dix, vingt ou trente hommes commandés par un ouriadnik. Ordinairement c’est une enceinte carrée entourée d’un mur en pierres ou en terre blanchi à la chaux ; ce mur est percé de meurtrières et flanqué de deux saillies comme de petits bastions dont le feu commande toute la partie en retraite. Au-dessus de la porte est la vyschka, petite plate-forme élevée sur des poteaux ; dans cette guérite aérienne veille constamment la sentinelle, dont le regard peut embrasser un horizon de dix verstes dans la steppe. Sur un des côtés intérieurs de l’enceinte sont le corps de garde et la petite caserne avec le magasin ; du côté opposé, les écuries où en un tour de main les chevaux sont sellés et bridés. Le poste est organisé de manière à pouvoir résister pendant quelques heures, jusqu’à ce que les postes voisins, avertis par la fusillade, aient eu le temps d’accourir, en appelant au besoin le renfort de la stanitsa la plus rapprochée. Cet appel se fait par un système de signaux réglé par le tir du canon : deux coups annoncent que la stanitsa ait à se mettre sous les armes, quatre qu’il vient de se passer un événement grave aux environs, du bétail enlevé avec son gardien, des hommes tués, etc., huit qu’un fait considérable vient d’avoir lieu, comme une attaque en masse de l’ennemi ; alors chaque stanitsa expédie vers le point menacé des hommes, de l’artillerie, et toutes ses forces disponibles. Le signal d’alarme donné par le canon et accompagné du tintement précipité de la cloche de l’église parvient promptement d’une stanitsa à l’autre jusqu’au bout de la ligne, et peut rassembler tous les postes dans la journée et même en quelques heures.

Pendant la nuit, la surveillance exige un redoublement de précautions. Dès la chute du jour, les postes sortent pour aller s’embusquer dans des sekrety aux gués des rivières, aux défilés, partout où l’ennemi a chance de se glisser. Chaque sekrel est de trois Cosaques, qui se cachent aux endroits les plus favorables, dans un bouquet d’arbres ou de broussailles, derrière un rocher ou un pli de terrain, et changent de place chaque nuit. Pendant que deux des hommes s’abandonnent au sommeil, la main sur la schaschka ou le fusil, le troisième fait le guet ; au moindre bruit douteux que saisit son oreille exercée, au milieu du murmure des vents et du fracas des eaux, le coup de fusil part, et tous les sekrety d’alentour accourent à l’instant.

À voir ces Cosaques aujourd’hui si bien assouplis, si dociles en apparence, qu’on a pu comparer le rôle qu’ils remplissent dans les domaines des tsars aux fonctions du chien de garde dans un troupeau, on pourrait croire qu’ils ont fait un irrévocable divorce avec leur passé orageux. Quelle métamorphose depuis l’époque où de