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Une autre considération importante à tirer des faits qu’on vient de rapporter, c’est la disparition, dans les programmes des concerts qui se donnent à Paris, de toute musique futile, de ces airs plus ou moins variés dont on était poursuivi il y a encore une quinzaine d’années. Les fantaisistes, les compositeurs d’impromptus, les improvisateurs d’aurores boréales, les faiseurs de madrigaux à la lune, au soleil, aux étoiles, les prestidigitateurs, les inspirés de toute espèce, tout ce monde de faux poètes et de détestables musiciens est en complète déroute. On ne les écoute plus, on ne les joue plus, on ne les achète plus nulle part. Les éditeurs de Paris sont devenus durs, impitoyables, complètement insensibles à toute cette musique pittoresque qu’ils payaient autrefois au poids de l’or. C’est tout au plus s’ils consentent à délier les cordons de leur bourse pour un opéra-comique en trois actes qu’ils éditent, mais qu’ils ne paient guère. La tendre romance elle-même est délaissée. Il n’y a que les chefs-d’œuvre du grand Offenbach qui résistent au discrédit où est tombée la production nationale ! C’est que le directeur des Bouffes-Parisiens, le chantre d’Orphée aux Enfers, est le musicien, le peintre véridique et choyé du temps où nous vivons !

Terminons ce long discours par un épilogue.

Un journal obscur, qui est la propriété d’un éditeur de musique dont il défend les intérêts avec plus de zèle que de talent, a bien voulu nous prendre à partie dans l’un de ses numéros. L’écrivain aimable et frivole qui le dirige sous un pseudonyme transparent qui ne trompe personne s’est cru désigné par nous à la vindicte publique dans quelques paroles un peu vives que nous avons récemment dirigées contre le Théâtre-Italien. Nous pouvons assurer à M. Paul Smith qu’il s’est trompé, et que nous ignorions qu’au nombre des fonctions inutiles dont il est investi, il comptât encore celle de surveiller l’administration du Théâtre-Italien. Nous ne sommes pas assez injuste pour demander à M. Paul Smith d’avoir une volonté quelconque dans la position délicate qu’il occupe. Chargé de couronner de roses et de fleurs de rhétorique toutes les médiocrités qui sortent chaque année du Conservatoire, M. Paul Smith s’acquitte de cette mission difficile avec une bonne grâce et une dextérité que nous nous plaisons à reconnaître sans les lui envier. Il y a deux hommes dans M. Auber : le compositeur charmant et fécond que nous admirons plus que personne, et le directeur du Conservatoire, qui, de l’avis de tout le monde, manque de quelques-unes des qualités nécessaires au chef d’une grande école nationale. C’est là une opinion que nous avons émise plusieurs fois dans la Revue, sans nous inquiéter si cela plaît ou ne plaît pas à M. Paul Smith et à ses protecteurs. Quant aux injures qui peuvent nous être adressées par une feuille sans consistance, nous n’avons point à nous en inquiéter. Ne parlant pas la même langue, nous n’avons pas non plus la même morale, ni la même mesure d’appréciation. Laissons donc les marchands faire leur métier et jouir en paix de la considération qui les entoure. Nous nous consolerons du blâme qu’on peut nous infliger en chantant avec Collette, l’héroïne d’une jolie chanson de M. Bruguière :

Ma gloire n’en souffrira pas.


P. SCUDO.


V. DE MARS.