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Parmi les nombreux concerts qui se donnent tous les ans à Paris, on distingue toujours les soirées données par M. Delsarte. Soit qu’on approuve entièrement sa méthode, soit qu’on lui reproche d’être plutôt un professeur de déclamation lyrique dans le sens de l’ancienne école française qu’un maître de chant dans le style plus compliqué de la musique moderne. M. Delsarte n’est point un artiste ordinaire. Au concert qu’il a donné dans la salle Herz, M. Delsarte a chanté avec un grand goût la romance de Joseph de Méhul, la scène et l’air de Telasco de Fernand Cortez, de Spontini. Il a été fort bien secondé par Mme Barbot, qui a déclamé et presque joué la scène d’Iphigénie en Aulide de Gluck, l’air de Proserpine de Lulli, avec un accent et une expression de physionomie peut-être un peu exagérés. M. Barbot aussi a chanté avec goût un air du Rolland de Lulli, qui m’a rappelé celui du Rolland de Piccini, que dans sa jeunesse Duprez chantait à ravir. La séance s’est terminée par un fragment du onzième quintette de Boccherini, une adorable fantaisie italienne que M. Sauzay, jouant le premier violon, a rendue avec charme.

Il manquerait quelque chose d’important à ce compte-rendu des fêtes musicales de l’année, si j’oubliais de parler du concert donné au bénéfice d’une œuvre de charité, l’orphelinat de Saint-Firmin (dans l’Oise), par une femme du monde des plus distinguées, Mme de Nerville. Elle y a exécuté elle-même avec une grâce parfaite le onzième concerto de Mozart, pour piano et grand orchestre. À cette soirée très brillante, nous avons pour la première fois entendu une virtuose amateur connue depuis longtemps, Mlle Brousse, qui a chanté avec un grand sentiment un air de Stradella. Douée d’une physionomie expressive et d’une voix de mezzo-soprano fortement trempée, Mlle Brousse chante la musique dramatique avec plus d’ampleur dans le style que de flexibilité vocale. Peut-être même pourrait-on lui reprocher de trop forcer le son et de lui faire perdre par une tension excessive la qualité musicale qu’il doit toujours conserver. Mlle Brousse n’en est pas moins une cantatrice amateur de la plus haute distinction.

L’Italie a été représentée dans les concerts qui se sont donnés cet hiver à Paris par M. Braga, violoncelliste et compositeur napolitain bien connu, par M. Lucas Fummagalli, pianiste fougueux qui marche sur les traces de son frère, qui est mort, par M. Stanzieri, qui joue du piano comme un ange, et qui peut interpréter de mémoire les plus beaux chefs-d’œuvre de l’école allemande, et par un certain Casella, nom illustre s’il en fut jamais, qui m’a rappelé immédiatement ces vers de Dante :

Casella mio, per tornar altra volta
La dove io son fo io questo viaggio
Diss’ io ; ma a te come tanta ora è tolta ?
. . . So nuova legge non ti toglie
Memoria o uso all’ amoroso canto
Che mi solea quetar tutte mie voglie,
Di ciò ti piaccia consolare alquanto
L’ anima mia che con la sua persona
Venendo qui è affannata tanto.