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liques et aux dissidens de son empire, il dirait peut-être d’abord, comme fera la Turquie, que ce qui se passe dans un état indépendant ne regarde pas les étrangers. Poussé davantage, par exemple sur le terrain de la Pologne, où l’Europe a par traité le droit, dont elle n’use pas, de réclamer la restitution des garanties stipulées à Vienne, le gouvernement russe répondrait que malgré l’autocratie il est impuissant à réformer la bureaucratie, qui le trompe, l’épuise et lui donne un si mauvais renom. C’est probablement la réponse que fera avec autant de raison la Turquie : la Porte alléguera son bon vouloir et son impuissance, et la récente gasconnade russe n’aura pas pour le moment d’autres suites. Au surplus, on se trompe à Pétersbourg si l’on y croit que les esprits éclairés peuvent encore être trompés sur la civilisation et la puissance moscovites. Avec des serfs qu’elle ne peut parvenir à émanciper, avec une administration de la justice qui n’est pas supérieure à celle du royaume de Naples, avec la vénalité de ses fonctionnaires, la Russie ne saurait faire croire à sa civilisation. Du temps de l’empereur Nicolas, il lui suffisait de faire à l’Europe une peur étrange dont tout le monde est revenu. Des finances embarrassées, une armée ravagée par les dilapidations, une organisation politique énervée par le despotisme oriental, ne sont point des conditions de puissance, et il n’est pas au pouvoir du gouvernement de la Russie de marquer la dernière heure de l’empire ottoman. Nous renvoyons ceux qui auraient besoin d’être édifiés sur les ressorts de la puissance russe sous l’autocratie au récent ouvrage du prince Pierre Dolgoroukov, la Vérité sur la Russie. La constitution de la Russie, son organisation politique sont analysées avec une vive justesse dans ce livre sincère et hardi. Malgré les protestations irritées de la vanité officielle en Russie, les révélations du prince Dolgoroukov ne sont que trop vraies ; c’est le témoignage que leur rendent les diplomates d’Occident qui ont pu étudier de près le gouvernement et la société russes. Nous ajouterons qu’à notre gré elles sont patriotiques. En s’exposant à de violentes récriminations de la part de quelques-uns de ses compatriotes, le prince Dolgoroukov a rempli un devoir, car on doit toujours (quand on le peut) dire la vérité à son pays. Le prince Dolgoroukov montre à la Russie comme unique voie de régénération les institutions libérales et représentatives. C’est à ce prix en effet que la Russie peut réaliser les grandes destinées qu’elle rêve, et devenir un empire vraiment européen.

La session du parlement prussien est terminée. Le prince-régent, dans son discours de clôture, empreint de sentimens constitutionnels et patriotiques, a dû mentionner avec regret les obstacles que les hobereaux de la chambre des seigneurs ont opposés à plusieurs mesures libérales présentées par son gouvernement ; mais on se préoccupe beaucoup plus depuis quelque temps de la politique extérieure de la Prusse que de sa vie intérieure. Le dernier mot du discours du prince-régent, en faisant allusion aux événemens futurs, a donné un aliment nouveau à ces inquiétudes dont nous avons tant parlé. Aux commentaires que ces parole ? ont provoqué, il