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dans ses propres forêts. Il peut ainsi être forcé de les couper bien avant qu’elles n’aient atteint leur plus grand accroissement, et s’imposer par cette exploitation anticipée un sacrifice quelquefois très onéreux ; mais il aimera mieux s’y résigner que de suspendre ses travaux. — Êtes-vous un père prudent et soucieux de l’avenir de vos enfans : plantez un terrain aujourd’hui stérile et sans valeur ; dans vingt ou trente ans, presque sans soin ni culture, vous aurez un bois. C’est une caisse d’épargne, dans laquelle une somme versée s’est transformée, par l’accumulation des intérêts, en un capital considérable. Venez-vous à mourir : cette forêt, partagée entre vos enfans, est abattue ou conservée suivant qu’ils ont ou non besoin de fonds, suivant qu’ils sont prodigues ou économes.

Ainsi ce qui caractérise la propriété privée en matière de forêts, c’est tout à la fois la faiblesse et l’irrégularité de la production ligneuse. L’insuffisance du taux de placement des capitaux qu’elle exige ne lui permet pas d’atteindre son maximum ; les fluctuations des fortunes particulières l’empêchent d’être uniforme. Ne tenant compte que des circonstances qui les touchent personnellement, les individus augmentent ou suspendent leurs exploitations le plus souvent sans se rendre compte des besoins de la consommation. Les lois de l’offre et de la demande, régulatrices infaillibles pour les produits qu’on peut créer rapidement, n’ont pas la puissance d’assurer un approvisionnement continu, quand il s’agit d’une matière qui ne peut suivre les oscillations du marché qu’à de longs intervalles. Ce n’est plus satisfaire à un besoin que d’y pourvoir un siècle seulement après qu’il s’est manifesté.

Pour garantir la société contre le danger d’être momentanément privée de bois, danger sérieux à l’époque où le combustible minéral était encore à peu près inconnu, où l’absence de routes et de canaux rendait les transports lointains impossibles, on multiplia les lois et les règlemens sur l’exploitation des forêts particulières. On apporta par là de nombreuses restrictions au droit des propriétaires ; mais alors on faisait bon marché des principes, et dès qu’il s’agissait de l’intérêt de tous, on passait outre : salas populi suprema lex. C’est ainsi que l’ordonnance de 1669, qui resta en vigueur ou à peu près jusqu’à la promulgation du code forestier, fixait l’âge auquel ces forêts pourraient être exploitées, le nombre de baliveaux à réserver dans les coupes, soumettait l’abatage des futaies à une déclaration préalable, autorisait l’administration de la marine à enlever les pièces propres aux constructions navales, ordonnait enfin aux officiers forestiers de veiller par des visites fréquentes à l’exécution de ces prescriptions. En 1827 seulement, on revint à des principes plus équitables : on supprima toutes ces mesures vexatoires, et, sauf la prohibition de les défricher sans autorisation, on