Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Animés par un premier succès, les bataillons russes se succédaient au pas de charge, et, franchissant la partie des retranchemens qu’ils avaient enlevée dès l’abord, ils attaquaient maintenant la redoute à revers. Un fort détachement lancé sur la lunette de Yarimaï l’avait de même prise à revers, en avait délogé les Turcs et les avait poursuivis jusque dans la redoute de Youksek-Tabia. La colonne du prince Gagarin escaladait en même temps le saillant de cet ouvrage, du côté de la vallée. Le désordre s’était déjà mis parmi les Turcs ; ils allaient céder, quand le lieutenant Teesdale, accourant au bruit du canon, suffit à ranimer leur courage par sa présence. Un combat corps à corps s’engagea au milieu même de la redoute ; les Russes, qui se montraient déjà de tous côtés sur les parapets, furent à la fin culbutés. Une fois maître de la position, le lieutenant Teesdale fit tirer à mitraille. Youksek-Tabia était sauvée. Les Russes se maintinrent néanmoins dans Yarimaï, d’où ils continuèrent à entretenir le feu contre Youksek.

L’obscurité avait voilé jusque-là les divers incidens de la lutte ; mais les ombres de la nuit se dissipaient à l’approche de l’aube. Il était près de six heures ; les rayons du soleil éclairèrent enfin cette scène de carnage. Les redoutes de Youksek et de Tachmas-Tabia disparaissaient au milieu d’énormes tourbillons de fumée sans cesse déchirés par le feu de l’artillerie et de la mousqueterie. La partie droite de la position était déjà complètement dégagée. Des monceaux de morts et de blessés marquaient seuls le passage des colonnes du général Kowalevski et du prince Gagarin. Ces colonnes se reformaient dans la vallée sous la protection de leur artillerie ; mais il n’en était pas de même à la gauche : les troupes du général Maydel enveloppaient complètement la redoute de Tachmas. Arrêtées par le feu des Turcs, elles s’étaient entassées aux environs et subissaient par là même des pertes énormes. Du côté des Turcs en effet, tous les coups portaient, et la mitraille incessamment vomie par leur artillerie ouvrait de larges brèches dans les rangs des Russes, sans parvenir à leur faire lâcher prise ; d’autre part, les obus de la batterie que le général Maydel avait établie sur la colline de Moukha pour canonner Tachmas, dépassant souvent le but, éclataient au milieu de ses propres troupes, qui s’étaient répandues sur le plateau. Les Russes n’en gagnaient pas moins du terrain. Les Cosaques et les Géorgiens avaient poussé jusqu’au quartier-général de Kméty. Le drapeau russe flottait sur sa tente. Au loin dans la plaine tonnait le canon du général Nyrodaux prises avec les batteries du Kara-Dagh, de la ville et du camp inférieur. Enfin un feu violent d’artillerie et de mousqueterie, en se rapprochant du fort Lake, annonçait l’occupation par les Russes des lignes anglaises.