Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compagnies de chasseurs de la garde que je destinai à la défense des lignes de Rennison. Je les postai, et fis placer dans les embrasures trois des pièces attelées de la réserve ; je jetai les deux autres dans Youksek-Tabia.

« Tandis que je prenais ces dispositions, les colonnes ennemies étaient parvenues au pied des hauteurs. La distance qui nous séparait n’était plus que de douze cents pas. J’ordonnai d’ouvrir le feu ; il éclata sur toute la ligne. Les Russes y répondirent par de longs hourras, et continuèrent à s’avancer bravement sous le feu croisé de l’artillerie et de la mousqueterie. La colonne que j’avais en face de moi mit près d’une demi-heure à gravir la pente encombrée de quartiers de rocher et de pierres éboulées que couronnaient les lignes de Rennison. Arrivés à cent cinquante pas de nous, les hommes qui formaient la tête de la colonne firent feu. Je respirai : il y avait du flottement ! En effet, la force d’impulsion qu’avait conservée la colonne sembla dès lors s’amortir ; elle ne s’arrêta néanmoins qu’à dix pas du fossé. Les plus hardis y descendirent et même escaladèrent les embrasures. Après un combat à bout portant où les nôtres en vinrent à se défendre à coups de pierres, les Russes durent se retirer, laissant le sol jonché d’un millier de morts et de blessés, dont huit cents ne formaient qu’un seul monceau. Le feu avait été si vif que toutes nos munitions étaient épuisées, et que, pour y suppléer, les soldats durent en prendre dans les gibernes des Russes tombés au pied des retranchemens. Je ralliai au plus vite mes hommes, car la fortune nous était moins favorable à la gauche ; un aide-de-camp de Hussein-Pacha venait au même instant m’apprendre la situation critique où se trouvait le général. »


Tandis que la colonne du général Kowalevski livrait cet assaut infructueux, celle du général Maydel avait attaqué les lignes de Tachmas avec une telle vigueur que Hussein-Pacha avait eu tout juste le temps de se jeter avec ses quatre bataillons dans la redoute. Yanik-Moustafa-Bey, qui accourait du fort Lake à son secours avec quatre compagnies de son régiment, avait même failli, dans ce premier moment, être enlevé par les Russes. Il avait dû chercher un refuge derrière un long mur en demi-cercle que les soldats turcs avaient construit à l’extrémité du camp pour abriter du vent leurs feux de cuisine, et s’y défendait à grand’peine, quand Hussein-Pacha, exécutant une vigoureuse sortie, parvint à le dégager et à le ramener avec lui dans Tachmas-Tabia. Quelque temps après, il recueillit de même le réïs Kérim-Pacha, qui avec quatre cavaliers d’escorte s’était lancé au milieu des Russes dans l’espoir de rejoindre les siens. Ce brave soldat ne cessa dès lors d’animer par son exemple les défenseurs de Tachmas. Seul à cheval au milieu de la redoute, fumant imperturbablement son chibouk sous une grêle de balles, il rappelait par son intrépidité les guerriers des temps héroïques de la Turquie. Du reste, tout ce que les troupes de Hussein-Pacha avaient pu faire était de se maintenir à l’abri de leurs retranchemens. Elles étaient hors d’état d’arrêter le flot des assaillans, qui montait toujours et les débordait de toutes parts.