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jeunesse, il nous avait égayés, comme tous ses prédécesseurs dans l’art comique, sur les ridicules d’un vieillard amoureux ; il nous avait fait rire sans pitié des fantaisies galantes de. Mucarade, sans songer que Mucarade avait un cœur et que ce cœur pouvait souffrir, puisqu’il pouvait aimer. Douze ans se sont passés depuis l’époque où fut représentée devant un public distrait par les bruits de la politique cette comédie, qui était restée vive et alerte comme au premier jour. Personne, si ce n’est M. Augier lui-même, ne se serait avisé qu’il y avait quelque chose à y changer. Dans cet intervalle de douze ans, l’expérience a enseigné à M. Augier de nouveaux secrets du cœur plus subtils peut-être, mais, je le crains, moins moraux que ceux que la jeunesse lui avait enseignés. Il s’est attendri sur le sort du vieillard amoureux, et s’est repenti du rôle ridicule qu’il lui avait fait jouer ; je crois qu’il s’est trompé, et que le jugement que porte la jeunesse sur les amours d’un vieillard, s’il est le plus cruel, est le seul moral et le seul vrai. Point n’était besoin d’ailleurs de toucher à l’Aventurière pour réparer l’injustice qu’il croyait avoir commise envers Mucarade ; il n’avait qu’à construire sur cette nouvelle donnée une seconde comédie, qui aurait été la contre-partie de la première. De beaux détails et de beaux vers ne peuvent nous faire pardonner à l’auteur d’avoir dénaturé, on ne sait pour quel motif, une des plus jolies pièces de son répertoire.

J’ai vidé maintenant tout mon bagage dramatique. — C’est bien peu ! me direct-vous. — C’est peu sans doute, et pourtant j’ai ramassé sur ma route tout ce que j’ai trouvé de supportable pour vous le présenter. Ma récolte s’est élevée à un chiffre total de cinq pièces, qui peut se décomposer ainsi : deux pièces de débutans, un vaudeville en un acte, un drame maladroitement découpé dans un roman, plus une comédie vieille de dix ans, récrépie à neuf et gâtée par les réparations de l’auteur. Vous voyez que la pénurie ne peut pas être plus complète. Il y a maintenant un peu plus de quinze ans qu’a commencé cette décadence, dont on a pu suivre les progrès lents et continus, mais jamais le niveau des eaux dramatiques n’avait été plus bas que dans ces deux dernières années. La décadence théâtrale peut s’arrêter, l’art dramatique est descendu jusqu’au bas de la pente, et maintenant il est en pleine ornière. Remontera-t-il jamais cette pente, et comment la remontera-t-il ? La remontera-t-il lentement, comme il l’a descendue, ou brusquement, par un coup d’aile de quelque génie inconnu qui le transportera en un soir jusqu’aux sommets d’où il a été chassé, et qui paraissent aujourd’hui inaccessibles ? C’est le secret du temps.


EMILE MONTEGUT.