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constitution, il n’y avait plus lieu de s’en occuper. En d’autres termes, cela signifiait que le congrès avait agi selon sa volonté, et que le président agissait aussi comme il l’entendait. L’irritation fut extrême dans l’assemblée ; les discussions violentes, les votes contradictoires se succédèrent ; on se mit à délibérer sur une motion déclarant la patrie en danger et la présidence de la république vacante. Or voici où l’on reconnaît que tout ce bruit avait bien peu de portée, que l’assemblée péruvienne n’avait pas consulté ses forces, et que Castilla avait grandement raison de ne pas s’émouvoir beaucoup. Le premier article de la motion déclarant la patrie en danger fut voté par 44 voix contre 32 ; quand on en vint à la disposition qui déclarait la présidence vacante, l’article fut rejeté par 42 voix contre 33. De cette étrange lutte, c’était le gouvernement qui sortait victorieux. Les députés avaient reculé et s’étaient mis dans une position d’humiliante impuissance ; ils le sentirent si bien que ni le lendemain, ni les jours suivans, ils ne se trouvèrent plus en nombre suffisant pour délibérer.

Une semaine après environ, sans paraître prendre garde à ce qui s’était passé, Castilla lut aux chambres en séance secrète un message dans lequel il annonçait une vaste conspiration. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que le gouvernement se servit en cette circonstance, pour appuyer quelques mesures extraordinaires, de la motion par laquelle le congrès avait déclaré la patrie en danger, et qui était primitivement dirigée contre lui. Castilla, on le voit, traitait légèrement le congrès ; il avait maintenu ses avantages dans cette crise bizarre, refusant ouvertement de sanctionner la décision du pouvoir législatif et se moquant à peu près des députés. Ce n’est qu’un peu plus tard que sans tenir compte de la loi votée par le congrès, il se décida de lui-même à traduire le colonel Arguedas devant un conseil de guerre et à le faire condamner à un an d’exil. Le général Castilla joignait dans ses procédés la ruse à la hauteur. Après cela, il ne restait plus à l’assemblée péruvienne d’autre issue qu’une prudente retraite. Elle le comprit et mit fin à ses séances le 25 mai 1859, en s’ajournant toutefois au 28 juillet ; mais dans l’intervalle Castilla prit sur lui de dissoudre définitivement le congrès péruvien, et, si l’on nous permet ce terme, il écrivit son épitaphe dans un décret du 11 juillet, constatant que l’assemblée, convoquée pour réformer la constitution, avait consacré cent vingt-cinq séances à ne rien faire, et appelant le peuple péruvien à se réunir en ses comices le 10 décembre 1859 pour élire un congrès ordinaire qui se rassemblerait le 28 juillet 1860. Ce congrès extraordinaire de 1858-1859 a donc eu une assez triste fin, comme la convention nationale qui l’avait précédé. Après lui, comme avant lui, c’est la dictature de Castilla :