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ces chaînes suivent une direction sensiblement parallèle du sud-est au nord-ouest, et soutiennent une succession de plateaux qui s’élèvent en forme de degrés depuis les plaines basses de l’Asie jusqu’à la région comprise entre l’Ararat et le Taurus. La ville d’Erzeroum est située dans cette partie du massif, au point de partage des eaux, qui se déversent en tous sens. L’Euphrate et le Tigre vont se jeter dans le golfe Persique, l’Araxe et la Koura dans la Mer-Caspienne, le Tchorok et les deux Irmaks dans la Mer-Noire. Le maître de ce point de partage des eaux se trouve maître en réalité de toute la partie occidentale de l’Asie. Il n’a qu’à suivre le cours des fleuves pour descendre dans l’Asie-Mineure, dans la Mésopotamie, dans la Géorgie, dans la Perse.

Cette considération ne pouvait échapper au génie conquérant des Turcs, et lorsqu’ils tournèrent leurs regards vers l’orient, ils songèrent tout d’abord à s’emparer de l’Arménie. Le sultan Sélim II, par la conquête d’Erzeroum, ouvrit la voie à ses successeurs Soliman le Grand et Mourad III, qui enlevèrent aux Persans la Géorgie et la Mésopotamie. Après une lutte qui dura près d’un siècle, les Turcs se trouvèrent en possession de cette longue chaîne de montagnes qui, sous le nom de montagnes de l’Arménie et du Kurdistan, s’étendent en ligne droite de la Mer-Noire à la mer des Indes. Ils n’avaient plus qu’un pas à faire pour descendre en Perse ; ils touchaient à l’apogée de leur puissance, qui dès lors allait rapidement décliner. Déjà ces expéditions lointaines entraînaient d’immenses difficultés. De graves désastres firent même sentir aux sultans la nécessité d’asseoir fortement leur domination en Arménie avant de pousser plus loin leurs conquêtes. Pendant le cours de ces guerres, leur base d’opérations était toujours Erzeroum ; mais la situation de cette ville au milieu d’une plaine la rendait, dans les idées du temps, peu propre à la défense. Il fallait donc avant tout s’assurer des passages des montagnes qui d’Erzeroum mènent en Perse et en Géorgie. Du côté de la Perse, il n’existe qu’une seule route, suivie de temps immémorial par les armées et les caravanes. Au sortir de la plaine d’Erzeroum, elle gagne, à travers les monts Bingel, la vallée de l’Euphrate, la remonte jusqu’aux sources de ce fleuve et débouche dans la plaine de Tchaldiran par le col de Bajazid, dépression qui sépare la flèche de l’Ararat du massif inaccessible des montagnes du Kurdistan. Du côté de la Géorgie, les chaînes parallèles au Caucase, l’Ararat et l’Alaghez, opposent un double obstacle à la marche des armées. Bien qu’à la rigueur ces montagnes