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« Le colonel Williams (écrit lord Clarendon à lord Stratford) est entouré de traîtres et de voleurs ; il a besoin de toute l’aide et de tout l’encouragement que peuvent lui donner les serviteurs de sa majesté. Le gouvernement de la reine ne peut voir sans regret la mortification qu’a dû ressentir cet officier en n’obtenant pas un mot de réponse à cinquante-quatre de ses dépêches. »

« J’en ai bien reçu soixante-dix, sans compter les pièces à l’appui (répond vivement lord Stratford). J’ai appelé l’attention du gouvernement ottoman sur celles des observations du commissaire de la reine qui ont rapport à l’organisation des armées du sultan ; mais il en est d’autres qui ne rentrent évidemment pas dans ses attributions, ou qui me semblent d’un intérêt contestable, et j’ai cru devoir en référer à votre seigneurie avant d’en entretenir les ministres du sultan : les questions de forme ou de compétence ne sauraient m’arrêter dans la voie que je suis pour obtenir d’eux ce qui me semble utile à la cause commune. Dans cette vue, je m’efforce d’éviter toute difficulté personnelle, toute discussion avec les individus qui doivent agir de concert avec moi pour le service de sa majesté. Je laisse ainsi à l’appréciation de votre seigneurie les défauts de forme qui échappent au commissaire de la reine et ne s’accordent pas avec les égards qu’il doit à l’ambassadeur de sa majesté… Enfin je voudrais savoir quelle est exactement la position attribuée au colonel Williams et l’étendue de nos devoirs réciproques… Il paraît que le commissaire de la reine se croit le droit d’exiger une obéissance immédiate, soit qu’il demande la punition ou la destitution d’un officier accusé par lui, soit qu’il indique une réforme à introduire, soit qu’il trace le plan d’une opération militaire. Si tels sont les pouvoirs qui lui sont conférés, je ne vois pas en quoi ils diffèrent de ceux d’un général en chef. Je remarque enfin dans les instructions de votre seigneurie qu’il est recommandé au colonel Williams d’entretenir les relations les plus amicales avec les officiers turcs, et je me hasarde à demander si les formes abruptes, les menaces, les propos violens, les ordres absolus qu’atteste sa correspondance, s’accordent avec les intentions de votre seigneurie. »


Tout en blâmant le colonel Williams de la rudesse avec laquelle il traite les Turcs, tout en rappelant à lord Clarendon le danger d’anéantir les restes de l’indépendance du pays, lord Stratford n’en soutient pas moins son compatriote dans l’exercice de l’autorité qu’il s’est arrogée. Demande-t-il à être élevé au grade de ferik, grade qui lui assurera plus complètement le respect et l’obéissance des Turcs, lord Stratford ne se contentera pas d’obtenir à l’instant cette faveur. L’usage veut que les Européens prennent en pareille occurrence un nom musulman qui déguise aux yeux des soldats leur qualité de chrétiens. Lord Stratford n’entend point se soumettre aux préjugés du pays ; il exigera que le colonel soit proclamé ferik sous le nom de Williams-Pacha, et le divan finira encore par se soumettre à cette exigence. Le jeûne du ramazan empêche-t-il les