Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/399

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

galant. » Ces demoiselles sont savantes et en tout cas très disposées à suivre les bonnes leçons. Écoutez plutôt miss Prue : « Regardez cela, madame, regardez ce que M. Tattle m’a donné. Regardez, ma cousine, une tabatière I Et il y a du tabac dedans ; tenez, en voulez-vous ? Oh ! Dieu ! que cela sent bon ! M. Tattle sent bon partout, sa perruque sent bon, et ses gants sentent bon, et son mouchoir sent bon, très bon, meilleur que les roses. Sentez, maman, madame, veux-je dire. Il m’a donné cette bague pour un baiser. (A Tattle.) Je vous prie, prêtez-moi votre mouchoir. Sentez, cousine. Il dit qu’il me donnera quelque chose qui fera que mes chemises sentiront aussi bon ; cela vaut mieux que la lavande ; je ne veux plus que ma nourrice mette de lavande dans mes chemises. » C’est le caquetage étourdissant d’une jeune pie qui pour la première fois prend sa volée. Tattle, resté seul avec elle, lui dit qu’il va lui faire l’amour. « Bien, et de quelle façon me ferez-vous l’amour ? Allez, je suis impatiente que vous commenciez. Dois-je faire l’amour aussi ? Il faut que vous me disiez comment. — Il faut que vous me laissiez parler, miss, il ne faut pas que vous parliez la première ; je vous ferai des questions, et vous me ferez les réponses. — Ah ! c’est donc comme le catéchisme ? Eh bien ! allez, questionnez. — Pensez-vous que vous pourrez m’aimer ? — Oui. — Oh ! diable ! Vous ne devez pas dire oui si vite ; vous devez dire non, ou que vous ne savez pas, ou que vous ne sauriez répondre. — Comment ! je dois donc mentir ? — Oui, si vous voulez être bien élevée ; toutes les personnes bien élevées mentent ; d’ailleurs vous êtes femme, et vous ne devez jamais dire ce que vous pensez. Ainsi, quand je vous demande si vous pouvez m’aimer, vous devez répondre non et m’aimer tout de même. Si je vous demande de m’embrasser, vous devez être en colère, mais ne pas me refuser. — O bon Dieu ! que ceci est gentil ! j’aime bien mieux cela que notre vieille façon campagnarde de dire ce qu’on pense. Eh bien ! vrai, j’ai toujours eu grande envie de dire des mensonges, mais on me faisait peur, et on me disait que c’est un péché. — Eh bien ! ma jolie créature, voulez-vous me rendre heureux en me donnant un baiser ? — Non certes, je suis en colère contre vous. (Elle court à lui et l’embrasse.) — Holà ! holà ! c’est assez bien, mais vous n’auriez pas dû me le donner, vous auriez dû me le laisser prendre. — Ah bien ! nous recommencerons. » Elle fait des progrès si prompts qu’il faut enrayer la citation tout de suite. Et remarquez que la caque sent toujours le hareng. Toutes ces charmantes personnes arrivent très vite au langage des laveuses de vaisselle. Quand Ben, le marin balourd, veut lui faire la cour, elle le renvoie avec des injures, elle se démène, elle lâche une gargouillade de petits cris et de gros mots, elle l’appelle grand veau