Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle poussa un cri et cacha sa tête dans ses mains. Il me sembla qu’elle chancelait, mais moi-même je sentais la terre fuir sous mes pieds. J’étais fou. — Partons ! dis-je au maquignon. Nous passâmes devant la Chouric, qui s’arrêta tout étonnée, et nous l’entendîmes crier : — Sabbat ! sabbat !

J’étais guéri de ma croyance aux sorciers ; je ne crus plus qu’à la perfidie des femmes. Ce n’était guère moins absurde dans les circonstances où je me trouvais. Ai-je besoin de vous dire que, bon gré, mal gré, mon oncle fut obligé de me laisser partir le lendemain pour le grand séminaire ? La plaie que je portais au cœur fut lente à se guérir, mais, cette fois la guérison fut radicale. Lorsqu’après la mort de mon oncle, je fus nommé, sur ma demande, à la cure de Carabussan, j’étais sûr de moi, et je pouvais revoir Marthe sans craindre une rechute. La pauvre fille n’était pas mariée ; elle ne se mariera jamais… Le jour de la Saint-Jean, les gendarmes, avertis par Capin, firent une descente dans le moulin abandonné. Le Muscadin put toutefois échapper à leurs recherches. Il avait été condamné comme contrebandier dans le département des Basses-Pyrénées, et, traqué dans ce département, il était venu chercher un refuge à Carabussan. Il se cacha pendant quelque temps dans la commune, et il repartit pour reprendre son dangereux métier. De temps en temps, il envoyait un peu d’argent à mon oncle, qui le remettait à la Chouric. Les envois d’argent cessèrent. Un berger de Laruns raconta que, poursuivi par les douaniers de Gabas, le Muscadin était tombé dans un précipice ; on n’avait jamais retrouvé son cadavre. On eut la cruauté d’apprendre sans précaution cette nouvelle à la Chouric, qui devint tout à fait folle. Elle se figure que son fils a été tué à la guerre, et elle maudit ceux qui la font. Elle erre pendant la nuit et croit assister à des sabbats imaginaires dont elle fait la description. Elle y place tous les gens dont les noms lui viennent à l’esprit, et surtout ceux qu’elle aime ; Comme Marthe et moi nous venons à son aide, elle ne manque jamais de nous y faire figurer au premier rang. Elle prétend que je dis des messes magiques, et que le diable a choisi Marthe pour être la reine du sabbat. Les paysans qui l’écoutent la croient sur parole ; ils parlent tout bas de ce qui me concerne ; quant à Marthe, elle est irrévocablement perdue à leurs yeux. La sœur de Noguès a su heureusement élever son âme au-dessus des malheurs de la terre. La religion la console. La Capinette est d’ailleurs excellente pour elle, et elle est adorée des enfans de son frère.

— Je suis bien de votre avis, dis-je au curé quand il eut fini son histoire, et je crois moins que jamais aux sorciers ; mais l’histoire du loup blanc reste encore pour moi un mystère.