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favorite, non la plus fringante, mais la plus solide ; c’était une brave percheronne bien capable de porter le double fardeau que je lui destinais. Premier donzelon, je devais porter la première donzelle, et la première donzelle, c’était Marthe.

La matinée était radieuse, et les étangs, dégagés de la brume, brillaient comme des miroirs ; les montagnes montraient leurs fronts neigeux à l’horizon et les blés verdoyaient sur la route. Louis Noguès était accompagné d’une cavalcade de plus de vingt chevaux ; il était seul sur le sien, qui était un grand navarrais noir, mais chacun de nous avait une compagne de voyage, et les uns au trot, les autres au galop, nous dévorions l’espace. Il y avait des chevaux mal élevés qui, impatiens de ce double fardeau, sautaient, ruaient et se cabraient ; on entendait alors des cris perçans presque aussitôt couverts par des éclats de rire formidables ; d’autres s’amusaient à faire caracoler leur monture dans les bourbiers qu’ils rencontraient, et c’étaient des imprécations furieuses qui finissaient bien vite par des explosions de gaieté. La percheronne de mon oncle était sage ; elle avait une allure extrêmement douce. Marthe, assise sur mon manteau, ne bougeait pas ; son bras était passé autour de ma taille, elle eût pu compter les battemens de mon cœur, mais elle ne pensait guère à mon cœur. Le beau foulard jaune qu’elle avait sur la tête, peut-être aussi le Muscadin, qui, plus élégant que jamais, faisait piaffer sa mule couverte de grelots, l’occupaient plus que moi.

À une bifurcation du chemin, nous rencontrâmes la cavalcade de la nobi. Capin, monté sur un énorme cheval normand, portait la Capinette. Le cheval était presque aveugle, mais son cavalier le manœuvrait avec une habileté qui ne permettait pas de soupçonner son infirmité. Il espérait le vendre à quelque personnage de la noce, et c’est ce qu’il ne manqua pas de faire. En se rencontrant, les deux cortèges redoublèrent leur tapage. Tous se mirent en chœur à chanter la nobi. Les fiers écuyers faisaient danser leurs chevaux. Dans ces chemins étroits et profonds, il y avait une confusion indicible. Nous arrivâmes à l’église sans accident. Là tous redevinrent sérieux, la nobi et le nobi étaient devant la porte. En ma qualité de premier donzelon, je m’approchai de la nobi, et je passai autour de sa taille un long ruban blanc dont les extrémités retombaient jusqu’à ses pieds : c’était la ceinture symbole de sa pureté. En même temps la première donzelle mettait au revers de la veste du marié une fleur ornée de rubans blancs exprimant le même symbole. La cérémonie eut lieu sans que rien en vînt troubler le recueillement. Suivant l’habitude, la nobi garda les deux anneaux, et toute la noce remonta à cheval. Louis Noguès portait la Capinette en croupe, et Dieu sait ce que le navarrais fit de courbettes, ruades, écarts et sauts de mouton tant que dura la route. Enfin on alla dîner. Il y avait à table plus de