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brebis qui l’entouraient, la maison blanche enfoncée dans les masses du verger fleuri, les grands herbages et les vertes moissons de la plaine unie comme une mer, l’horizon fin et vaporeux, formaient un tableau plein d’harmonie, de douceur et de sereine majesté.

La brise printanière courbait légèrement les jeunes épis et apportait les parfums du foin nouveau. « Le bonheur est ici, se dit le jeune exilé. Il n’y est peut-être pas pour moi, mais il y est pour qui serait sage et patient. Sans doute, dans cette vie lente et uniforme de la terre, le cœur d’un homme actif étoufferait bien quelquefois celui qui le porte. Cette nature qui fait son œuvre à pas comptés, jour par jour, heure par heure, et qui n’obéit à l’homme qu’avec une régularité imposante, c’est comme une loi sourde et aveugle qui se rit de nos fièvres d’activité. C’est aussi un joug qui vous retient encore mieux que le bœuf attaché à la charrue, car il ne faut pas quitter la terre quand on s’est marié avec elle. C’est un atelier de travail qu’on ne transporte pas et qu’il faut toujours défendre, non pas seulement contre le voisin, mais contre les oiseaux du ciel et les insectes cachés dans l’herbe. C’est un bagne avec des chaînes de fleurs, un souci solennel, silencieux et sans trêve.

« Mais aussi quelle grandeur dans la durée des choses de la campagne ! Comme les plus ingénieuses productions de l’artiste et de l’artisan sont peu de chose au prix de la majesté d’un vieux chêne ! Comme le ciel est vaste sur ces plaines sans accident et sans fin ! Et quelle musique discrète et pénétrante dans ces feuillages que l’air d’un beau jour caresse avec respect ! Est-ce qu’ici les fumées de l’orgueil et les inquiétudes de l’âme ne doivent pas s’engourdir peu à peu sans qu’il soit même nécessaire de les combattre ? Est-ce qu’il n’y a pas un charme plus puissant que toutes nos imaginations dans ce repos apparent qui cache le mystérieux travail de la terre ?

« Oui, ici on doit devenir, sinon meilleur, du moins plus digne et plus austère. Les vaines sensibilités, les poignantes aspirations doivent s’émousser et faire place à une espèce de fatalisme robuste. La vie de fer et de feu de l’industriel est un délire, une gageure contre le ciel, un continuel emportement contre la nature et contre soi-même. Celle du paysan est une soumission prolongée, demi-prière et demi-sommeil. Le mépris des tourmens et des joies qui nous consument est écrit sur sa figure, qui ne sait ni rire ni pleurer. Il contemple et il médite. Il attend toujours quelque chose qui, un peu plus tôt, un peu plus tard, doit venir à coup sûr, pluie ou soleil, ombre ou lumière ; tandis que l’artisan, enfoui dans les mines ou courbé dans l’atelier sombre, a toujours l’esprit et les yeux tournés vers un seul point, l’agriculteur regarde en haut ce qui, des rayons ou des nuages, doit venir donner la dernière et souveraine