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mière réunion ; il y eut affluence dans les suivantes. Un comité de soixante-dix membres fut nommé ; dans le nombre figuraient MM. Richard Cobden, John Bright, Thomas Potter, maire, et un modeste fabricant d’amidon, M. George Wilson, le futur président de la ligue. L’ardeur, l’union étaient manifestes ; un seul dissentiment s’éleva. À l’appel de son nom et à propos de la cotisation, M. Robert Stuart, un riche manufacturier, s’écria : « Quoi ! cinq shillings ! rien que cinq shillings ! Il nous faudra de bien autres sommes ! Inscrivez-moi pour dix livres ! » Le 20 octobre, le comité provisoire entrait en fonctions ; l’agitation commençait.

Les honneurs du début appartenaient à M. Paulton ; on l’invita à venir faire des lectures publiques à Manchester : il y fut accueilli avec enthousiasme, et y tint plusieurs séances. Ce fut dans l’une d’elles qu’il récita quelques vers dont la rime, invariablement reproduite, resta dans les mémoires. « Que veulent les lords, ces marchands de grains ? La rente. Pourquoi envoient-ils leurs frères au combat ? Pour la rente. Pourquoi votent-ils chaque année des millions arrosés de sang ? Pour la rente. Leurs richesses, leur santé, leur joie et leur mécontentement, leur but, leur pensée, leur religion, se résument par un mot : la rente, la rente, la rente ! » Cette rente bafouée était la rente de la terre, le revenu du sol. On peut juger du ton que déjà prenait la querelle : c’était la mise au ban d’une classe, on ne s’en cachait pas. Ces intempérances de langage répondaient aux émotions du dehors ; il s’y joignit bientôt des actes plus sérieux. La chambre de commerce comprit qu’elle ne pouvait persister dans son indifférence ; elle se réunit le 20 décembre, et un grave débat s’y éleva : il s’agissait de savoir si l’industrie, en se déclarant contre la protection en matière d’agriculture, y renoncerait en même temps pour elle-même. M. Cobden se prononça nettement pour l’affirmative. « Rigoureusement, dit-il, l’assimilation des deux privilèges n’est point exacte ; la concurrence intérieure ne s’y exerce pas de la même manière : pour l’industrie, elle est sans limites ; pour l’agriculture, elle est limitée par les surfaces à exploiter. Il convient cependant d’écarter les chicanes de détail, et garder le privilège pour soi, en le refusant à autrui, serait une inconséquence. » Après une discussion assez vive, cette opinion prévalut, et dans une adresse dont la rédaction lui fut confiée, M. Cobden la reproduisit en des termes qui ne laissaient point de prise à l’équivoque. Il voulait qu’il fût constant que l’industrie brûlait ses vaisseaux. « Convaincus, est-il dit dans cette pièce, que le fondement d’une justice commerciale est le droit qu’a tout homme d’échanger les fruits de son travail contre ceux des autres peuples, les pétitionnaires supplient la chambre des communes d’abolir les lois relatives à l’importation des