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vivante de leur laideur. Il charge ses pièces d’incidens, il multiplie l’action, pousse la comédie jusqu’aux situations dramatiques ; il bouscule ses personnages à travers les coups de main et les violences, il va jusqu’à les fausser pour outrer la satire. Voyez dans Olivia, qu’il copie d’après Célimène, la fougue des passions qu’il manie. Elle peint ses amis comme Célimène, mais avec quels outrages ! « Milady Automne ? — Un vieux carrosse repeint. — Sa fille ? — Splendidement laide, une mauvaise croûte dans un cadre riche. — Oui, la vieille au bout de la table… — Renouvelle la coutume grecque de servir une tête de mort dans les banquets. » Nos nerfs modernes ne supporteraient pas le portrait qu’elle fait de Manly son amant, et celui-ci l’entend par surprise. À l’instant elle se redresse, le raille en face, se déclare mariée, lui dit qu’elle garde les diamans qu’elle a reçus de lui, et le brave. « Mais, lui dit-on, par quel attrait l’aimiez-vous ? Qu’est-ce qui avait pu vous donner du goût pour lui ? — Ce qui force tout le monde à flatter et à dissimuler, sa bourse ; j’avais une vraie passion pour elle. » Son impudence est celle d’une courtisane déclarée. Amoureuse dès la première vue de Fidelio, qu’elle prend pour un jeune homme, elle se pend à son cou, « l’étouffé de baisers ; » puis dans l’obscurité elle tâtonne pour le trouver en disant : » Où sont tes lèvres ? » Il y a une sorte de « férocité » animale dans son amour. Elle renvoie son mari par une comédie improvisée ; puis, avec un mouvement de danseuse : « Va-t’en, mon mari, et viens, mon ami. Justement les seaux dans le puits : l’un descendant fait monter l’autre. » Elle éclate d’un rire mordant : « Pourvu qu’ils n’aillent pas comme eux se heurter en route et se casser l’un l’autre ! » Surprise en flagrant délit et ayant tout avoué à sa cousine, dès qu’elle entrevoit une espérance de salut, elle revient sur son aveu avec une effronterie d’actrice : « Eh bien ! cousine, lui dit l’autre, je le confesse, c’était là de l’hypocrisie raisonnable. — Quelle hypocrisie ? — Je veux dire, ce conte que vous avez fait à votre mari ; il était permis, puisque c’était pour votre défense. — Quel conte ? Je vous prie de savoir que je n’ai jamais fait de conte à mon mari. — Vous ne me comprenez pas, bien sûr ; je dis que c’était une bonne manière d’en sortir, et honnête, de faire passer votre galant pour une femme. — Qu’est-ce que vous voulez dire, encore une fois, avec mon galant, et qui est-ce qui a passé pour une femme ? — Comment ! vous voyez bien que votre mari l’a pris pour une femme ! — Qui ? — Mon Dieu ! mais l’homme qu’il a trouvé avec vous ! — Seigneur ! Vous êtes folle à coup sûr. — Oh ! ce jeu-là est insipide, il est blessant. — Et se jouer de mon honneur est encore plus blessant. — Quelle hardiesse admirable ! — De la hardiesse, moi ! à moi un tel langage. Oh bien ! je ne