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qui rappellent le passé, parce que, si le passé a été bon, il est agréable en imitation comme bon, et que, s’il a été mauvais, il est agréable en imitation comme passé. » C’est à ce grossier mécanisme qu’il réduit les beaux-arts, on s’en est aperçu quand il a voulu traduire l’Iliade. À ses yeux, la philosophie est du même ordre. « Si la sagesse est utile, c’est qu’elle est de quelque secours ; si elle est désirable en soi, c’est qu’elle est agréable. » Ainsi nulle dignité dans la science : c’est un passe-temps ou une aide, bonne au même titre qu’un domestique ou un pantin. L’argent, étant plus utile, vaut mieux. C’est pourquoi « celui qui est sage n’est pas riche, comme disent les stoïciens, mais celui qui est riche est sage. » Pour la religion, elle n’est que la « crainte d’un pouvoir invisible feint par l’esprit ou imaginé par des contes publiquement autorisés. » En effet, cela est vrai pour l’âme d’un Rochester ou d’un Charles II ; poltrons ou injurieux, crédules ou blasphémateurs, ils n’ont rien soupçonné au-delà. — Nul droit naturel. « Avant que les hommes se fussent liés par des conventions, chacun avait le droit de faire ce qu’il voulait contre qui il voulait. » Nulle amitié naturelle. « Les hommes ne s’associent que par intérêt ou vanité, c’est-à-dire par amour de soi, non par amour des autres. L’origine des grandes sociétés durables n’est pas la bienveillance mutuelle, mais la crainte mutuelle. » — « Tous dans l’état de nature ont plus ou moins la volonté de nuire… L’homme est un loup pour l’homme… L’état de nature est la guerre, non pas simple, mais de tous contre tous, et par essence cette guerre est éternelle. » Le déchaînement des sectes, le conflit des ambitions, la chute des gouvernemens, le débordement des imaginations aigries et des passions malfaisantes avaient suggéré cette idée de la société et de l’homme. Ils aspiraient tous, philosophes et peuple, à la monarchie et au repos. Hobbes, en logicien inexorable, la veut absolue ; la répression en sera plus forte, la paix plus stable. Que nul ne résiste au souverain. Quoi qu’il fasse contre un sujet, quel qu’en soit le prétexte, ce n’est point injustice. C’est lui qui doit décider des livres canoniques. Il est pape et plus que pape. Ses sujets, s’il l’ordonne, doivent renoncer au Christ, au moins de bouche ; le pacte primitif lui a livré sans réserve l’entière possession de tous les actes extérieurs. Au moins de cette façon les sectaires n’auront pas, pour troubler l’état, le prétexte de leur conscience. C’est dans ces extrémités que l’immense fatigue et l’horreur des guerres civiles avaient précipité un esprit étroit et conséquent. Sur cette prison scellée où il enfermait et resserrait de tout son effort la méchante bête de proie, il appuyait comme un dernier bloc, pour éterniser la captivité humaine, la philosophie entière et toute la théorie, non-seulement de l’homme, mais du reste de l’univers. Il réduisait les jugemens à « l’addition de deux noms, » les idées à des états du cerveau, les