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transparence, il nous semble plus rapproché qu’il ne l’est en réalité, parce que notre œil en saisit nettement les diverses parties. Si nous n’avons pas à l’avance la notion de la grandeur exacte, l’illusion est différente ; la possibilité où nous nous trouvons de scruter les moindres détails de l’objet nous en dissimule la masse et nous le fait supposer plus petit qu’il n’est réellement ; l’erreur porte alors sur la grandeur et non sur la distance. Mais que tout à coup l’atmosphère s’épaississe, que des brouillards s’élèvent, les formes des montagnes ou des objets paraîtront alors plus lourdes et plus massives ; le nain prendra subitement les proportions d’un géant. Il est toutefois des momens où la transparence de l’atmosphère exagère la grosseur des objets. Que l’on contemple la chaîne des Alpes des plaines qui s’étendent à leur pied, soit au sud, soit au nord, quand le temps est humide et que la pluie s’apprête à tomber, l’air est clair, et cependant les montagnes semblent plus sombres et plus élevées. C’est qu’alors les traits du paysage ne se fondent pas dans un tout uniforme, et que les hauteurs tranchent fortement avec la vallée. Dans l’ordre physique comme dans l’ordre moral, les oppositions rendent plus sensibles les différences.

La transparence de l’atmosphère exerce aussi une influence marquée sur la faculté visuelle. Ordinairement la vapeur répandue dans l’air empêche la vue de s’étendre bien loin à l’horizon ; nous voyons naturellement mieux de bas en haut que de haut en bas. De plus, les objets placés par rapport à nous à une certaine profondeur prennent une teinte plus sombre et plus uniforme, et le contraste des couleurs n’en vient plus accroître la visibilité. L’observateur qui porte ses regards d’une cime élevée sur une autre cime, placée à quelques lieues de distance, se trouve dans des conditions bien plus favorables. La lumière n’a plus alors qu’à traverser de minces couches de l’atmosphère, et toutes les parties d’un objet, tous les détails du terrain peuvent être distingués. De là l’efficacité de ces signaux allumés sur les montagnes, et qui se répondent d’une cime à l’autre. Nos ancêtres, les Gaulois, se transmettaient ainsi, au dire de César, les nouvelles avec une rapidité presque télégraphique.

Si la transparence de l’atmosphère rend les objets plus visibles et en accuse mieux les contours, la présence des vapeurs engendre des effets lumineux dont la variété, aux grandes altitudes, ajoute singulièrement à la beauté du spectacle. Que l’observateur porte sa vue sur une de ces cimes éloignées dont il peut, grâce à la transparence de l’air, distinguer nettement les lignes, et que des vapeurs se répandent et s’éparpillent dans le vaste espace qui l’en sépare, le pic se colorera bientôt d’une couleur rouge tirant vers le pourpre, comme MM. Schlagintweit l’ont observé notamment en 1847, au